mardi 1 octobre 2024

[NO ONE IS INNOCENT] (Kemar) //INTERVIEW // Colères - Septembre 2024.


Après plus de trente ans d’existence [NO ONE IS INNOCENT] qui fait partie du paysage métallique français au même titre que MASS HYSTERIA, TAGADA JONES et ULTRA VOMIT, ces comparses dans le mythique Le Gros Quatre à décider de tirer sa révérence. Une annonce qui a surpris tout le monde au vu de la qualité de leur derniers méfait Ennemis sorti en 2021. Un véritable petit séisme pour tous les fans de la formation Parisienne qui les suivent depuis leurs débuts. Pour conclure l’aventure le gang a décidé de nous offrir un Best Of intitulé Colères agrémenté de deux titres inédits enregistrés en mai 2024 “L’arrière-boutique du mal“ où le groupe dénonce l’action diabolique du Cyber harcèlement et “Ils marchent“ sur le dérèglement politique à venir. Rassurez-vous l’arrêt total n’est pas immédiat et pour défendre ce dernier opus nos amis s’apprête à sillonner les routes Française avec comme point culminant un concert dans leur fief la Cigale le 20 mars 2025. Pour en savoir un peu plus sur cette décision qui semble irrévocable nous nous sommes entretenus avec le chanteur Kemar personnage sympathique et haut en couleur qui continue à lutter sans cesse en musique contre la racisme, dénoncer la répression sociale, condamner les dictatures, rejeter le terrorisme et l’obscurantisme, désigner les ennemis de la République et de la liberté d’expression…Un vrai sacerdoce qui a animé tout le parcours de ce combo hors du commun qui nous manque déjà ! Magnéto Kemar c’est à toi !



Vous avez donné un concert le 17 aout en Belgique au Park Rock Festival votre premier concert avec votre tout nouveau line up composé de trois nouveau musicien Mathys (batterie), Fred (guitare) et Marceau (guitare) comment as-tu vécu ce premier show ?

Kemar. C’est un peu simpliste ce que je vais te dire mais c’est comme le vélo c’est-à-dire qu’on avait l’impression qu’on avait joué ensemble depuis au moins dix à quinze concerts. Il y a des automatismes qui étaient là. De la complicité, on s’est laissé embarqué par les morceaux de No One. Tout d’un coup il y a tout qui vient avec l’énergie, ce que cela raconte, les gens en face de nous. C’est hyper interactif. C’était terrible. Vraiment. Au sein du line up il y a quand même Fred Mariolle, un gars qui a toujours gravité autour de No One parce qu’il y a quelques temps il avait joué des live avec nous. Puis il a participé à la compo de certains titres de Propaganda. Ce n’est pas non plus un inconnu mais il y a aussi le fruit du travail. On a pas mal bossé depuis un an, on s’est souvent mis la pression pour bien faire les choses et à un moment donné ça paie.

Vous avez donné d’autres concerts à part celui-là ?

Kemar. Non, c’est le seul parce qu’on n’avait pas envie d’en faire plus car on avait encore des clips à faire, de la promo et quelques réglages. On s’était dit que l’on se concentrait sur 2025.

Est-ce que tu as été surpris du départ des deux guitaristes Shanka et Popy ainsi que de votre batteur Gaël Chosson ou tu t’y attendais ?

Kemar.  Ecoute avec Tranbert le bassiste, on n’a pas été forcément ultra surpris parce qu’émotionnellement ils n’ont pas encaissé ce que l’on a traversé ces deux dernières années. Comme Tranbert et moi pour eux cela a été difficile de subir la pause de No One. Ce sont toujours des moments où il y a un peu d’animosité qui ressortent pendant ces moments-là. Avec Tranbert on n’a pas été surpris de ce départ.

Finalement la surprise vient du fait que vous avez décidé d’arrêter l’aventure après trente ans d’existence. On aurait pu penser que cela allait durer encore longtemps un peu comme Deep Purple ?

Kemar. 
Pas mal (rires). C’est un peu l’exemple que l’on donne avec Tranbert en ce moment. Quand on voit leur dernière production, voir leurs clips et leurs prestations live même si c’est un groupe où j’ai énormément de respect, des morceaux que je chantai quand j’étais ado, je commençai alors la musique avec Tranbert, on se dit que l’on n’a pas envie de terminer comme ça. Il y a aussi l’énergie que demande un groupe comme No One. On n’a pas envie de faire l’album de trop, ni la tournée de trop. C’est un combo qui a une énergie et un ADN qu’il faut respecter. Tu décides de faire des chansons avec No One, tu ne changes pas ton braquet au niveau compo et interprétations ne serait-ce que par rapport à ce que le groupe raconte. Quand tu mets le pied sur scène il faut être fidèle à ce que demande cette formation. Quand tu joues les morceaux tu ne peux pas faire semblant ou alors sans être physiquement en adéquation avec ce qui est raconté et joué.

Tu veux dire que c’est une décision que vous avez murement réfléchie et prise ensemble ?

Kemar. 
Oui cela fait un moment que l’on en parle tous les deux pour toutes ces raisons-là, on s’est dit que la boucle était bouclée. Après avec le reste du groupe on s’est dit que l’on ne s’interdisait pas d’écrire des chansons puis les balancer mais pas avec tout ce que représente et comporte la sortie d’un album.

Cela veut dire plus d’album et plus de tournée non plus ?

Kemar. Cela veut dire que l’on revient en 2025 sur une série de concert, et 2026 2027 ce sera la tournée qui clôturera l’histoire de No One.

Est-ce que cela ne va pas te manquer ?


Kemar.
Si surement avec Tranbert dans nos discussions je le ressens. On positionne le groupe à chaque fois très haut dans ce que l’on doit être et représenter. Je pense à la fois nos corps qui nous parlent et l’histoire du combo. Comme je te le dis on n’a pas envie de faire l’album de trop et la tournée de trop. Ça c’est un truc qui me hante. Comme dit Fred Mariolle il vaut mieux partir comme Zidane après trois ligues des champions et dire ciao les gars (rires). C’est un peu ça.

Il vaut mieux s’arrêter en haut.

Kemar.
Il vaut mieux s’arrêter en haut parce que j’ai envie de laisser l’image d’un groupe qui a toujours été imprévisible, inattendu sur scène et qui a toujours sorti des morceaux sans fioriture avec un vrai message et ne pas changer son ADN simplement parce que tu as dépassé la cinquantaine.

Le best of Colères porte bien son nom. Comment avoir choisi les morceaux après dix albums. J’imagine que cela n’a pas dû être facile !

Kemar. Non parce qu’avec Tranbert on a beaucoup regardé ce qu’on a beaucoup joué sur scène parce que la plupart des morceaux qui ont été joués sur scène sont des morceaux importants. Je pense à “La Peau“, “Nomenklatura“, “Charlie“, “Djihad Propaganda“, “Silencio“ tous ces morceaux qui font partie de l’histoire du groupe et ce qu’il a raconté d’important.

Je dirai même que ce sont des classiques.


Kemar.  Ouais je pense que quand tu fais un best of tu mets des classiques qui ont marqué l’histoire de ton groupe et à côté de cela quelques petites perles notamment “They Learn Your Love“. J’ai toujours eu une attache particulière pour ce morceau parce que je me rappelle la façon dont il a été construit, le moment où il a été enregistré. Parfois, de temps en temps les gens sont peut-être passés à côté de titres comme ça et ça permet de leur donner une seconde vie.

Les deux morceaux inédits ou été écrit récemment ou vous les aviez composés depuis longtemps ?

Kemar.  Non ce sont vraiment de tout nouveau titres qu’on a composé il y a un an et quelques mois. C’est le fruit de l’écriture des textes et c’est ça qui a influencé beaucoup la sonorité et la compo des deux morceaux.

Colères propose des textes qui amènent à réfléchir. “L’arrière-boutique du mal“ soulève le problème des réseaux sociaux et leurs dérives un thème totalement d’actualité au vus des évènements récents !

Kemar.
Je trouve que c’est un vrai maux de la société comme certains disent dans la formation cela aurait pu être Révolution.com 3.0. A l’époque quand on a écrit Révolution.com c’est l’avènement d’internet. On se retrouve en boite avec nos fans en train de faire un chat en sortant on voit une centaine de mec avec des ordis complètement concentrés, hyper connectés et on leur demande ce que vous faites et nous disent qu’ils répondent à des pétitions sur internet. Pour nous la révolution c’est à la fois dans l’art et dans la rue. On leur dit “mais j’ai l’impression que vous allez changer la phase du monde et que vous allez être entendu parce que vous répondez à des posts sur internet“. Les mecs n’avaient aucune conviction et on a trouvé cela complétement « chelou ». On s’est dit il y a quelque chose qui est en train de changer. C’est à partir de là qu’on a écrit Révolution.com. Quand tu écris vingt ans plus tard “L’arrière-boutique du mal“ tu te rends compte de ce qui a changé et de la façon dont aujourd’hui on utilise, certains utilisent Internet c’est à dire pour balancer, faire du mal, terroriser, menacer etc. Evidemment c’est une partie d’Internet je ne dis pas que tout est nocif mais que c’est quelque chose où il y a des vies qui ont été brisées, des gens qui sont décédés à cause de ce fléau. Ce qui a toujours caractérisé l’écriture dans No One et pourquoi on a envie de parler de cela. Tu as l’impression que c’est un sujet très consensuel que tout le monde trouve génial. Ce qui m’a toujours intéressé c’est de gratter ce qui est consensuel. Par exemple l’affaire Mila c’est un truc qui m’a vachement marqué ou alors toutes ces gamines qui ont subies des harcèlements. Le cyber harcèlement via des propos homophobes ou alors de tailler les LGBT. C’est quelque chose qui me dérange et qui en plus est une discussion collégiale dans le groupe. C’est pour ça que j’ai eu envie d’écrire là-dessus.

Est-ce qu’il y a des thèmes aujourd’hui qui te donne de nouveau envie de prendre la plume car j’imagine que tu ne vas pas t’arrêter d’écrire ?

Kemar. Non, non je ne vais pas arrêter d’écrire mais je pense que quand tu vois ce qui se passe entre Israël et la Palestine tu as toujours envie d’écrire, et dans notre pays tu as toujours envie d’aborder des choses. Par exemple le deuxième titre “Ils marchent“ c’est un morceau qui est musicalement totalement différent de “L’arrière-boutique du mal“. Mes potes m’ont dit par rapport à ce que tu as écrit, à ce que cela raconte on n’a pas besoin de monter le volume à donf pour le raconter. On a cherché d’autres formes, une autre façon de raconter et d’interpréter. Je ne sais pas mais j’ai l’impression d’écrire des textes complétement intemporel. Sur “Ils marchent“ j’ai utilisé le vocabulaire du dérèglement climatique pour évoquer la dangerosité de l’arrivée du Rn au pouvoir. Même avec tout ce qui se passe en ce moment, politiquement j’ai vraiment la peur, l’impression que l’on est en sursis. Peut-être que c’est un texte qui fera encore écho dans un an, un an et demi.

C’est ce que je ressens en lisant les textes du best of. Finalement tous les sujets que tu as abordé au cours des années sont pour la plupart encore d’actualités d’une manière ou d’une autre.

Kemar. Oui, c’est ce côté qui est à la fois réjouissant parce que quand tu vois tous les titres sur ce best of tu te dis ça pue, ça transpire encore la réalité d’aujourd’hui. Quand tu te retournes sur ta carrière tu te dis que voilà. C’est pour ça que je te dis faire l’album de trop pour moi et Tranbert c’est quelque chose qui nous hante un peu.

Votre premier opus est sorti en 1994 s’appelait No One Is Innocent et s’est vendu à 100 000 exemplaires, vous avez d’ailleurs eu un disque d’or. C’est faramineux au vu des chiffres d’aujourd’hui ! Comment avez-vous vécu cela ?

Kemar. C’était comme une espèce de transe parce que c’est un groupe qui se forme hyper vite, qui se met tout de suite à faire des répètes, à aller faire quelques concerts, à rentrer en studio par accident, à voir plein de gens qui commencent à parler de toi avec grâce aussi à l’avènement de formations comme Rage Against The Machine. C’est une musique que j’avais dans la tête depuis un moment qui grâce à ce combo met en lumière ce que l’on était en train de faire. On a la chance d’avoir “La Peau“ dans notre poche. C’est un morceau qui va nous propulser au-devant de la scène. Aussi par le fait que scéniquement parlant à un moment donné la formation raconte quelque chose. Il y avait à la fois disco-graphiquement ce que l’on avait réussi à faire et aussi les prestations live. Toutes les idées qu’on a eu que ce soient dans les pochettes, dans les clips, dans les voyages à l’étranger qu’on a pu faire et ce que l’on a ramené dans nos besaces. Cela a été une espèce de transe incroyable. On a réussi à se renouveler, se réinventer c’est un peu ce qui s’est passé.

Le nom de No One Is Innocent est inspiré directement d’un titre des Sex Pistols dont vous étiez fans. De nombreuses années après vous avez rencontré Johnny Rotten et ça, c’est plutôt mal passé ?


Kemar. C’était un festival en Bretagne, il venait faire une tournée pour payer leurs impôts je pense (rires). Il faut connaitre aussi l’histoire de ce morceau, c’est un titre qu’ils enregistrent avec Ronnie Biggs (Ndr : il interprète deux morceaux en tant que chanteur pour The Great Rock'n'Roll Swindle, le film de Malcolm McLaren sur les Sex Pistols. Les enregistrements de No One Is Innocent et de Belsen Was a Gas se déroulent dans un studio brésilien avec le guitariste Steve Jones et le batteur Paul Cook peu après le dernier concert des Sex Pistols) qui est un des gars qui a fait l’attaque du train postal (Ndr : l'attaque du train postal Glasgow-Londres le 8 août 1963). C’est une espèce de gangster notoire et eux évidemment enregistrer avec un gangster ça les excite mais c’est un morceau que Johnny Rotten n’a jamais vraiment assumé. Arrivé dans le festival il voit un groupe qui s’appelle No One Is Innocent. Je pense que ça a réveillé chez lui des trucs et évidemment avec sa légendaire provocation…. C’est moi qui sors de la caravane de notre loge. Il me prend à parti en m’insultant en disant qu’il est innocent et qu’on est des merdes. Je ne me débine pas, je m’avance vers lui je l’insulte en français et il me demande de parler en anglais. Je continue à l’insulter en français ça part un peu en vrille on est à quatre cinq mètres l’un de l’autre en train de s’investiguer (rires). Il y a tous mes gars qui sortent dehors, les gars des festivals et il se fait siffler par tout le monde. Après on s’est fait copieusement insulter sur scène par Johnny Rotten. C’était drôle, nous on l’a pris comme quelque chose de drôle, c’était Johnny Rotten dans toute sa splendeur. En fait l’idée c’était Johnny Rotten me déteste et j’adore ça (rires).

Tu n'as pas écrit un morceau sur cette histoire incroyable.


Kemar. Justement on l’a écrit dans l’album Drugstore (Ndr : 2011), il y a un morceau qui s’appelle “Johnny Rotten“ et le texte c’est ça. Johnny Rotten me déteste et j’adore ça.

En 2017 vous avez ouvert pour les Insus au stade de France j’imagine que cela a été un moment intense !

Kemar. Ce n’était pas la première fois. Avant il y avait eu AC/DC et à chaque fois c’était pour deux soirs, pour nous c’est génial.

Qu’est ce qui se passe dans ta tête lorsque joue devant une marée humaine de 80 000 personnes ?


Kemar.  Il y a une espèce d’adrénaline incroyable parce qu’il y a aussi ce que tu veux raconter. Tu ne joues pas avant Britney Spears ou Lady Gaga. AC/DC est un des groupes qui m’a donné envie de faire de la musique. Bon Scott était mon idole. Je chantais devant ma glace et j’avais l’impression d’être Bon Scott. Cela veut dire des choses et à un moment donné tu te dis quelque part la boucle est bouclée. Jouer deux soirs au Stade de France avec AC/DC c’est le rêve et que Jean Louis Aubert me propose d’ouvrir pour eux deux soirs de suite c’est pareil. Il vient me chercher et me propose le truc. Je suis hyper ému parce que Téléphone aussi m’a marqué et pareil au niveau de l’écriture. Pour moi Aubert c’est le mec qui a écrit les chansons les plus incroyables de l’histoire du rock en France. Je regardai ado Aubert chanté “La Bombe Humaine“ et je me suis dit c’est ça que je veux faire (rires). C’est ça que je veux faire pas forcément comme musique mais c’est ça que je veux faire. Je veux être dans cette transe. C’est ça qui me branche, ce sont des gens qui m’ont marqué et j’étais hyper content.

Est-ce que tu as envie de continuer en solo ?


Kemar.
Oui je pense qu’un jour, d’ailleurs j’ai des trucs dans mes tiroirs. Quand ce sera le bon moment et quand je serai vraiment prêt et que ce seront des morceaux qui mériteront de sortir, j’aurai envie de faire quelque chose.



Interview 23 Septembre 2024
Pascal Beaumont / Photo DR 
Pascal Beaumont et Laurent Machabanski (Traduction / Retranscription)