Animateur radio locale du Tarn entre 2000 et 2002, tu crées un blog "Electric Buffalo" du Rock, du Jazz au Black-Metal en 2007, Un premier livre : Chocs Electriques Et Sensations Soniques.le second à un de ses héros : Fast Eddie Clarke. auteur de la biographie officielle des Variations. tu écrit dans Jukebox Magazine, Gonzaï, Vinyle&Audio et Crossroads. Raconte- nous tes débuts de radio jusqu'à ton dernier livre…
Julien Deléglise : Sacrée question en ouverture ! J’ai commencé la radio sur Albiges, une station locale albigeoise, plutôt portée sur la musique folklorique occitane, mais aussi avec quelques émissions plus « jeunes ». J’ai simplement contacté la station, et avec un copain, Jean-Philippe, on a fait un bout d’essai. Ils ont aimé, on a fait l’émission L’Ame Rock pendant deux ans, ainsi que des nocturnes avec des collègues de station, l’un était porté sur le blues, l’autre sur la soul et le funk. Le blog Electric Buffalo a vu le jour un peu avant 2007, chez un autre hébergeur de site. Il a coïncidé avec mes débuts dans la presse musicale chez Blues Again en 2004, qui était alors un magazine papier en kiosque, d’abord trimestriel puis bi-mensuel. J’y suis rentré en répondant à une annonce, et en envoyant un de mes premiers écrits. J’y ai publié mes premières chroniques et articles de fond. Cependant, la sélection des disques était déjà faite par la rédaction en chef parisienne, et je devais me contenter de ce qui restait. J’étais donc un peu frustré, car je ne pouvais pas parler de mes groupes préférés. Cela s’est arrangé par la suite, surtout quand je montais à la réunion de rédaction à la capitale avec mon vin bourguignon (j’habitais vers Dijon à l’époque). Alors j’ai fondé Electric Buffalo, qui me permettait de parler de ce que je voulais, sur la longueur que je voulais. Le premier livre est arrivé en 2015, lorsque j’ai constaté que j’avais accumulé des centaines d’articles sur mon blog. J’ai contacté des éditeurs dont Camion Blanc, simplement en donnant le lien de quelques articles pour leur demander si ça les intéressait. Dans l’heure, j’ai eu une réponse positive de Camion Blanc. Le premier livre, « Chocs Electriques Et Sensations Soniques » est une première sélection de mes articles du blog, ceux que je trouvais suffisamment bons pour être publiés. Et puis, ce fut l’enchaînement : il y eut celui sur Fast Eddie Clarke, qui fut d’ailleurs promu sur la page officielle de Clarke, avec un gentil mot de remerciement de ce dernier, qui était alors encore vivant en 2016. La biographie officielle des Variations fut une belle aventure, en collaboration étroite avec le guitariste fondateur Marc Tobaly. Parallèlement, j’ai continué à écrire pour la presse musicale, dans les magazines que tu as cité. J’ai changé de maison d’édition avec « Au Coeur Du Punk US » aux Presses du Midi car ce livre avec Gilles Scheps nécessitait un encart central photos de qualité. C’est Gilles qui m’a contacté pour me proposer ce projet de livre, c’est moi qui ait toujours dégotté les éditeurs. On a ensuite conçu ensemble l’ouvrage sur Iggy Pop et les Stooges qui est sorti aux Editions du Layeur, et qui était le résultat de négociations antérieures. Depuis, j’y suis et j’y reste ! Il y eut par la suite le « Jazz-Rock en 150 Figures » et ce « Téléphone ». Cet éditeur me permet de faire de très beaux ouvrages illustrés, c’est une grande satisfaction à chaque sortie. J’ai entre-temps repris la radio à Besançon où je réside, et j’ai présenté l’émission Captain Rock’N’Roll sur Radio BIP, ainsi que Allo La Terre et Allo La Zik sur Radio Boomerang, qui étaient réalisées en visio, car la station est basée à Roubaix ! Depuis, j’ai tout arrêté, je n’avais plus le temps de tout faire. Par contre, je participe à des podcasts quand on m’y invite, comme ceux de la chaîne Children Of The Sabbath qui consacrent une émission par album de Black Sabbath. J’en suis à mon troisième épisode avec eux, et c’est toujours un grand plaisir.
Comment as-tu découvert la musique ? Quelles ont été tes premières découvertes musicales ?
Julien Deléglise : Mon premier choc musical, eh bien c’est Téléphone. Comme je l’explique en introduction du livre, j’ai découvert le groupe avec la chanson « Un Autre Monde » sur l’album du même titre en 1985 à l’âge de six ans. Elle était le générique d’une émission présentée par Patrice Drevet que ma sœur regardait. J’étais fasciné par cette introduction un peu mélancolique, puis ce décollage électrique, d’ailleurs symbolisé à l’image par celui d’une fusée. Ma sœur avait en fait la cassette, elle me l’a passé avec son baladeur, et j’ai adoré immédiatement. Je ne suis plus jamais revenu aux chansons d’enfant, Dorothée, Chantal Goya. Je suis passé directement à Téléphone, puis Dire Straits et Police.
Te souviens-tu de ton tout premier concert ?
Julien Deléglise : Oui, et il n’a rien de très rock. Il s’agissait de Claude Nougaro à Juraparc à Lons-Le-Saunier, quelque chose comme 1988. J’ai fait mes premiers concerts avec mes parents, qui étaient plutôt jazz et chanson française. Mon premier vrai concert de rock date de 1998, lorsque j’ai vu Eric Clapton à Toulouse sur la tournée « Pilgrim », j’avais dix-neuf ans. Je ne suis pas spécialement un coureur de concerts. Le son est souvent beaucoup trop fort, les nuances musicales difficiles à distinguer. Je vais en concert en fonction des opportunités, de mes moyens financiers, et de l’artiste. J’ai quand même vu pas mal de groupes que j’ai toujours aimé comme Status Quo, Deep Purple, ZZ Top, Magma, Motörhead, AC/DC, Neil Young And Crazy Horse, Black Sabbath… Je continue encore à aller voir des concerts sur Paris où dans ma région. Mais ce sont de plus en plus souvent de petits groupes, car j’essaie de rester curieux, et les groupes que j’aime, quand ils sont encore en vie, ne sont plus assez bons pour le prix demandé.
Comment a commencé ta passion pour Téléphone ?
Julien Deléglise : Eh bien, comme je l’expliquais plus haut, à six ans avec « Un Autre Monde ». J’ai immédiatement adoré ce disque, toutes ses chansons. A alors commencé une sorte de manie complétiste dès que j’ai reçu en cadeau mon premier radio-cassette. J’ai dès le début voulu tout savoir sur mes groupes préférés : j’achetais minutieusement tous leurs albums pour comprendre leur évolution musicale. Il y avait aussi des émissions comme Culture Rock avec Philippe Gardinier qui faisait des émissions d’une heure consacrée à un groupe. Le magnétoscope familial me permettait d’enregistrer ces programmes tardifs, et de les revoir le lendemain matin. J’ai très vite dévoré ces émissions. Celle sur le rock français m’a notamment connecté très tôt avec les Dogs, Bijou, Ganafoul et Little Bob Story alors que je l’avais enregistré pour Téléphone. J’ai notamment pu voir la prestation de « Métro C’est Trop » au festival de Fourvière en 1978. Les trois premiers albums m’ont permis de découvrir un rock plus rugueux et agressif qui me combla de bonheur pendant de longs mois.
Aujourd'hui tu sors une bible pour tout fan de Téléphone, parle nous de la création de ce livre ?
Julien Deléglise : L’idée de ce livre est partie d’une promesse que je me suis faite : lorsque j’ai commencé à publier des bouquins, je me suis promis d’en publier un sur Téléphone. Une fois signé au Layeur, je me suis dit que c’était le bon moment pour évoquer l’idée d’un tel livre. Mon éditeur a été emballé, avec toujours en ligne de mire de consacrer également l’ouvrage aux carrières solo. Cela n’était pas un problème, car je les avais suivis d’un œil et d’une oreille plus ou moins lointaines. Les quatre musiciens sont un peu comme des proches pour moi. Même si je ne les connais pas, j’ai une grande affection pour eux. Ils se dégagent d’eux une grande sympathie pour moi, et j’avais déjà pas mal de leurs albums solos. J’ai commencé l’ouvrage exactement comme il est publié : par l’introduction expliquant ma découverte du groupe et ma promesse. Puis j’ai avancé album par album. Il y a quelques disques un peu faibles, mais la qualité musicale habite l’ensemble de leur carrière commune, et une bonne partie de celles individuelles. Je trouve d’ailleurs l’unique album de Corine Marienneau très plaisant !
Pour les informations qui alimentent mon récit, je me suis basé sur les biographies, auto-biographies, et ouvrages collectés au cours de ma vie. Je les ai cité en bibliographie. L’idée n’est pas d’être totalement exhaustif sur tout, mais de créer un récit intéressant mettant en avant l’aventure humaine que fut Téléphone puis les aventures solos. Il ne s’agit que de quatre êtres humains vivant leur rêve, et confrontés à de multiples pérégrinations dont ils n’avaient absolument pas imaginé ni l’ampleur ni l’existence. A l’époque, les groupes de rock n’avaient aucun business plan, à part faire quelques bons concerts et enregistrer un jour un album. Ils ont dû trouver des solutions à tout : l’organisation des premières tournées, la répartition de l’argent, la pression de plus en plus importante sur leurs épaules au fur et à mesure que le succès augmentait.
Combien de fois as-tu vu Téléphone ou chacun des membres de leur côté sur scène ?
Julien Deléglise : Aucune ! Pour Téléphone, étant né en 1979, je n’ai eu le temps que de vivre la sortie du simple « Le Jour S’est Levé », et leur séparation surprise en 1986. Je n’ai jamais vu aucun d’entre eux sur scène depuis, une question d’occasion manquée. Ils ne jouaient jamais à côté de chez moi, où je n’en avais techniquement pas la possibilité. Ma vie personnelle a été un peu mouvementée, et il y a certaines priorités plus importantes que d’aller en concert voir Jean-Louis Aubert, comme manger ou avoir de l’électricité. Je n’ai même pas vu les Insus ! Je vais voir pour la première fois Louis Bertignac sur scène en novembre prochain. Je suis content de cela, quelque part, une boucle est en train de se boucler.
L'évènement le plus marquant que tu ais vécu avec Téléphone ?
Julien Deléglise : Indiscutablement, c’est le choc initial de la découverte de la chanson « Un Autre Monde », qui a littéralement bouleversé mon monde d’enfant et ma vie entière. Si nous sommes là ensemble à discuter de ce livre et des précédents, c’est grâce à eux et leur musique. Cependant, plusieurs chansons ont été importantes dans mon panthéon personnel : « 66 Heures » et « Le Garçon D’Ascenseur » sur « Un Autre Monde », qui m’ont ouvert la porte du son blues-rock auquel je suis très attaché. On peut y ajouter « Métro C’est Trop » et sa slide sur le premier album, ainsi que ce thème obsédant et malsain. Il y a aussi le fantastique final de l’album « Crache Ton Venin » avec le doublé « Un Peu De Ton Amour » et « Tu Vas Me Manquer ». Le disque « Au Coeur De La Nuit » est pour moi leur chef d’œuvre absolu, et m’a beaucoup marqué par son atmosphère noire. Plus généralement, Téléphone est le choc initial, et je continue à l’écouter avec plaisir presque quarante ans plus tard sans aucun préjugé ni réserve, même après autant d’années de découvertes musicales extrêmement diverses.
Quels sont les groupes qui sont dans ton Top Ten ?
Julien Deléglise : C’est compliqué, car j’écoute beaucoup de choses et cela peut changer d’une heure à l’autre, comme passer de AC/DC à Genesis juste sur le feeling du moment. Le Top Ten que je t’indique est donc totalement subjectif, mais disons que je me base sur ce que j’écoute régulièrement depuis dix ans, et les choses sur lesquelles je reviens assez systématiquement :
1/ Black Sabbath
2/ Motörhead
3/ AC/DC
4/ Thin Lizzy
5/ The Groundhogs
6/ UFO
7/ Hawkwind
8/ Neil Young
9/ Man
10/ Fleetwood Mac (périodes Peter Green et Bob Welch)
J’ajouterais des groupes récents fascinants comme Slift, Barabbas, King Buffalo, Samsara Blues Experiment et Kanaan. Il faut également ajouter les Who, Led Zeppelin et Budgie qui sont trois grands chocs musicaux primordiaux que j’ai plus ou moins délaissé à force de les écouter, mais que je continue à aimer profondément.
Y a-t-il une chanson ou un album qui restera pour toujours ?
Julien Deléglise : Je ne suis pas très doué pour cet exercice, car je trouve tellement de groupes et d’albums formidables pour de multiples raisons très différentes que c’est bien compliqué. Je ne suis pas non plus devin. Vue la tournure des choses, il semble que l’histoire retiendra surtout des choses admises par le plus grand nombre : Beatles, Rolling Stones, David Bowie, Pink Floyd…
Personnellement, je pense que la chanson « Killer Without A Cause » de Thin Lizzy sur l’album « Bad Reputation » est absolument parfaite. Elle provoque toujours en moi une incroyable montée d’adrénaline et un vertige qui ne s’atténuent pas avec le temps et les écoutes.
Pour un album, je pense que si l’on veut une définition du rock’n’roll le plus pur, il faut avoir écouté une fois l’album « Let There Be Rock » d’AC/DC. On y entend littéralement crépiter les amplificateurs, le son est absolument diabolique, d’une pureté live en studio magistrale.
Quels sont tes prochains projets ?
Julien Deléglise : Le prochain livre sera sur Motörhead, carrières solo comprises. On a décidé avec mon éditeur de reporter cela au printemps 2024, car on veut faire un vrai bel objet. J’ai un ami collectionneur de Motörhead que je vais mettre à contribution pour les images, on va prendre un photographe professionnel. On veut que les fans de Motörhead comme les néophytes se régalent, dans la continuité du Téléphone.
La suite pour la fin 2024 est déjà plus ou moins calée, mais je tiendrai ma langue car rien n’est sûr pour le moment.
Pour conclure veux-tu rajouter quelque chose ?
Julien Deléglise : Rajouter quelque chose ? Il me semble avoir été déjà bien bavard ! Peut-être qu’il me semble intéressant de rappeler que le rock n’appartient pas à une génération, mais que chaque génération a ses groupes. Aussi, il faut que chaque génération puisse exister. Que les Rolling Stones publient un nouvel album ne me dérange pas, cependant, le buzz autour fait que le rock est devenu une musique de vieux, avec ces conflits débiles entre vieux boomers et quarantenaires qui commencent à trouver ce genre de sortie gériatrique pénible. Il y a plein de super bons groupes dans le monde, en France notamment, et il serait souhaitable qu’ils puissent enfin exister médiatiquement parlant.
De manière générale, il serait bon que les programmateurs de tous bords, radios, télévision, salles de concerts, arrêtent de se focaliser sur ce qui fait du buzz pour prendre quelques risques et laisser de la place à la musique qui vit et qui a quelque chose à dire. Des groupes comme Slift, Decasia, Barabbas, Fuzzy Grass ou The Marshals n’attendent que cela en France.
Thierry CATTIER
Photos DR