Il y a des moments dans une vie, il y a des rencontres, il y a des jours avec, il y a des jours sans, mais la vie provoque certaines fois des rencontres magiques et pleines de surprise.
Patrick Coutin est un bel exemple d'une de ces rencontres magiques : en nous offrant une interview pour la promotion de son nouvel album "L'homme Invisible" sorti en mars, il nous a permis de revenir sur les point cruciaux de sa vie, sa carrière, les moments qui l'ont marqué au fil de ces années et qui en ont fait un homme, un vrai, honnête et droit, avec toute la sincérité et la gentillesse qui le caractérisent.
Il nous a donné une interview belle et toute en profondeur, sans artifice, et nous avons découvert un grand Monsieur. Je vous laisse entrer dans ses mots et découvrir son univers. Keep on Rocking.
Tu es né le 21 mars 1952 à Sfax, Tunisie quels souvenirs gardes-tu de tes premières années ?
Patrick COUTIN . De
ma naissance à mon arrivée en France, finalement, j'ai assez peu de
souvenirs. D'abord je suis arrivé très jeune. Mon père était militaire.
Il était en Indochine puis est repassé par la Tunisie. Il a pris ma mère
et ses deux enfants. Je sais, mais ce sont des souvenirs qui m'ont été
racontés. Je me souviens vaguement d'une plage, de la maison où
j'habitais avec un petit jardin devant, pas loin de la ville où l'on
allait faire les courses. J'ai dû arriver en France à 5-6 ans.
Malheureusement c'a s'est mal passé. On a pris le bateau puis le train
où mon frère Gérard est mort. Il était tout petit, il avait 2 ans. C'est
quelque chose que j'ai longtemps occulté. Et puis, on est arrivé dans
les Deux-Sèvres chez ma grand-mère où j'ai toujours ma maison de famille
là-bas et, très rapidement, on est parti à Saumur où mon père qui était
un militaire de carrière s'était installé. Il a d'abord travaillé à
droite à gauche puis il a eu un magasin et j'ai vécu à Saumur jusqu'à
l'âge de 15-16 ans. Alors Saumur est une ville pas tout à fait comme l'a
décrit Trust. C'est une ville qui, comme toute la France, était stricte
à l'époque. On était rasés de près, on était habillés pour aller à
l'école. Et Saumur était peut-être une ville plus stricte que les
autres, en tout cas le lycée où j'allais. Pourquoi ? Parce que c'est une
ville militaire. Donc ça se tient. C'était une grande école à Saumur et
les fils de militaires, ils se trimballaient pas en chaussons dans la
ville ! Mais en même temps c'est une ville où je me suis beaucoup amusé.
On allait jouer sur la Loire qui est un fleuve dangereux mais
remarquable.
Et donc, je suis arrivé à Paris. Et comme je n'avais rien
foutu au collège, au Lycée de Saumur précisément, j'ai été envoyé en
internat par mes parents à Baugé C'était pas très loin et j'ai continué à
foutre le bordel en internat. Un jour, ils m'ont viré et je suis arrivé à
Paris quand j'avais 16 ans en mai 1968. Je suis arrivé juste pour les
vacances au début du mois de mai, non pas à Paris mais à Sarcelles,
c'est à dire la banlieue parisienne et qui était une ville
extraordinaire à l'époque. C'était une ville neuve mais c'était pas les
banlieues telles qu'on les stigmatise aujourd'hui. Il y avait une
population qui venait du monde entier. Des communautés israélites,
musulmanes, indiennes et on vivait tous ensemble avec beaucoup de
bonheur. C'est très drôle. Pour moi, c'était un paradis mon enfance à
Sarcelles. Et donc, quand je suis arrivé, je devais être en seconde. Je
suis parti faire mes courses chez Gibert Jeune pratiquement le jour où
la plus grosse manifestation du début de mai 68 a eu lieu. Donc je me
suis retrouvé là dedans. J'ai trouvé ça fantastique et j'ai abandonné le
foot tout de suite pour m'en occuper car je trouvais ça marrant. Et
puis c'était ma génération qui foutait le bordel et qui se révoltait.
Par la suite j'ai continué à être un mauvais élève en embêtant le
proviseur du lycée de Sarcelles qui m'a viré mais qui m'a trouvé une
place au lycée Condorcet. J'étais un mauvais élève mais je n'étais pas
idiot et les profs m'aimaient bien. Donc, de Condorcet, j'ai passé mon
bac en candidat libre car je sentais bien que je les énervait aussi.
Et
je suis entré à la Sorbonne où j'ai fait des études de psychologie,
d'arts plastiques, de littérature et de philosophie que j'ai abandonnées
juste avant le doctorat de philo pour partir aux USA. Et là j'ai passé
presque deux ans en Californie où j'ai traîné à droite, à gauche.
Lorsque je suis revenu, j'avais l'intention de reprendre mes études mais
c'était trop tard. J'ai bien essayé mais ça n'a pas marché. Et là, je
suis avec des copains et on a commencé à rentrer dans la musique parce
que le monde d'où l'on venait et que l'on voulait changer politiquement,
finalement n'avait pas changé du tout. Il y a quelques uns d'entre nous
qui devenaient violents et qui sont rentrés dans ce qu'on appelait les
brigades rouges, des choses comme ça. Moi, j'avais envie de tuer
personne et avec quelques copains on a commencé à faire du rock'n'roll.
Quelles ont été tes premières découvertes musicales, tes premières influences et tes idoles ?
Patrick COUTIN . D'abord,
comme tous les français, je suis né avec les yéyés de ma génération. Il
y avait le commandeur qui était Johnny et qui avait tout pour lui. Il
était beau, il chantait bien, il était grand et il avait des tas de
tubes. Ma première chanson que j'ai aimé de lui c'était "Retiens la
nuit" écrite par Aznavour d'ailleurs. Et puis après on avait tous les
autres. J'étais très fan de Françoise Hardy car je la trouvais sublime.
Et, assez vite, on est arrivé à des chanteurs un peu différents comme
Antoine, Dutronc qui ont abordé une musique qui nous ressemblait car, il
faut l'admettre, les yéyés sont devenus très vite démodés. Quelques-uns
d'entre eux ont gardé cet aura. C'était les trois grands, Johnny, Dick,
Eddy qui sont restés mais ce mouvement a disparu très vite. Et est
arrivé la musique anglaise avec les Beatles, les Small Faces... qu'on
commençait a écouter le soir dans une émission qui s'appelait "Salut les
copains"et un peu plus tard la nuit sur RTL. Et là on a eu nos premiers
émois de rock en anglais. On commençait à apprendre l'anglais en
France. On était pas très bons mais on y allait. Et donc on comprenait
un petit peu. Le premier groupe que j'ai aimé c'était les Rolling
Stones, ça c'est clair, mais j'aimais bien les Small Faces. Tous les
groupes un peu durs me plaisaient bien. C'était l'époque des 45 tours
encore, donc il y en avait peu.
Puis à partir de 1967 sont arrivés les
albums concepts et on peut dire qu'on a presque tout pris. On ne faisait
pas de différence. On aimait Jethro Tull autant que les Rolling Stones, King
Crimson, Mahavishnu Orchestra. Pour nous tout ça c'était extraordinaire.
Et ça reste extraordinaire encore aujourd'hui. Tout est réédité en
permanence. Et c'était des musiciens fabuleux. On oublie de penser que
les meilleurs musiciens du monde, à l'époque, se mettaient dans le rock.
Quand tu vois que tu avais Jimi Hendrix, Jimmy Page, Eric Clapton au
même moment, même s'il y a de fantastiques guitaristes aujourd'hui,
certains dans le Jazz, d'autres dans la musique classique, là tout le
monde se mettait dans le rock parce que c'était la musique d'une
génération. Et en 5 ou 6 ans, je pourrais peut-être te citer 100
disques. Et des idoles j'en ai eu plein, notamment Hendrix, les Doors,
Cream, les Rolling Stones bien évidemment et aussi des groupes qui ont
un peu disparu, comme Love, Family. On écoutait vraiment beaucoup de
choses.
A quel âge as-tu commencé à apprendre à jouer d'un instrument puis à écrire tes premières chansons ?
Patrick COUTIN . L'âge
je ne peux pas te le dire exactement. Mon père était musicien pas
professionnel mais il jouait de la trompette et du violon, très bien
d'ailleurs. Il prenait n'importe quelle chanson et il la jouait. Il a
voulu m'apprendre à jouer du violon mais j'ai refusé car ça ne
m'intéressait pas. J'ai toujours eu un côté cancre. Dès que mes parents
voulaient que je fasse quelque chose, je ne voulais pas le faire.
J'adorais mes parents mais je voulais faire à ma façon. Et quand
j'habitais à Sarcelles c'est là que j'ai découvert le rhythm and blues.
D'ailleurs il y avait, dans la même tour que moi, une famille d'origine
antillaise qui écoutait beaucoup de musique américaine.
James Brown, Otis Redding, etc.. il y avait un frère et une sœur qui
étaient magnifiques et qui étaient aussi beaux l'un que l'autre. Ils
faisaient des boums de temps en temps chez eux. Pas systématiquement
mais un week-end tous les deux mois environ, il y avait une boum pour un
anniversaire et donc j'étais invité car je faisais partie des gamins de
l'immeuble. J'écoutais cette musique et je voyais ces gens qui
dansaient, car nous autres petits français on dansait assez peu à
l'époque. Je devais avoir 17 ans. Les gens qui venaient des Antilles ou
d'Afrique dansaient. Ils s'éclataient et dansaient le rock avec des pas
et je voyais ça en me disant c'est pas possible. Et cette fille était
tellement belle que je me suis dit il faut que je devienne musicien pour
qu'elle tombe amoureux de moi.
Donc j'ai acheté une guitare espagnole
pour faire du funk et ça n'a pas du tout marché mais ça été ma première
envie. Après, j'ai fugué très tôt. C'était un été, on devait être en
1968. Je suis parti, après mai, dans le sud de la France avec ma guitare
et là j'ai rencontré plein de gars qui faisaient la manche. Beaucoup
d'anglais, des hippies et je suis devenu copain avec une anglaise. J'ai
commencé à jouer ma première chanson qui devait être dans le style
d'Antoine je me souviens plus vraiment. C'était quelque chose de simple
avec juste trois accords. On se mettait dans un coin de rue, on chantait
et on récupérait deux francs. Et c'est resté comme ça pendant
longtemps. C'est vers les années 70-72, ça paraît court mais pour nous à
l'époque c'était très long trois ans, où là on a commencé à vouloir
faire du rock avec mes amis. Il y en a un qui jouait déjà un peu de
batterie, l'autre un peu de basse. Donc là je me suis acheté une vraie
guitare, une Fender Stratocaster rouge et je m'y suis mis. Il faut se
souvenir qu'à cette époque il n'y avait pas internet et pour apprendre
une malheureuse chanson en 3 accords c'était la croix et la bannière.
Personne ne savait comment on faisait du rock'n'roll en France. Il y
avait de très bons jazzmen, des musiciens de bonne qualité qui faisaient
de la musique dans des bals, des choses comme ça. Mais jouer du Beatles
ou jouer saturé, on ne trouvait pas une distorsion. Donc on va dire que
le début des compositions c'a été timidement vers 1972.
Tu fondes «Reporter» en 1977 ton premier groupe puis tu part pour San Francisco Raconte nous cette expérience ?
Patrick COUTIN . Je
ne sais plus comment s'appelait mon premier groupe. C'était un groupe
avec des copains, le groupe du lycée. Un coup c'était l'un qui jouait de
la basse, le coup d'après c'était l'autre qui jouait de la batterie
parce qu'ils avaient autre chose à faire ou parce qu'ils étaient en
vacances. Mais c'est là que j'ai commencé mes premières compositions.
J'étais en 1ère, je devais avoir 17 ans. C'était un ami qui chantait et
moi j'ai commencé à écrire des chansons. Je me souviens qu'à l'époque,
c'est marrant, je voulais mélanger le rock et le reggae. J'étais fan de
Bob Marley et j'essayais de faire des chansons en accordant les deux.
C'était compliqué pour un mec qui ne savait pas bien jouer. Donc ça
c'est les tout débuts. Par la suite j'ai vécu une époque, je dirais, un
peu dangereuse et un peu bizarre. Je me suis retrouvé en taule car
j'avais fait des conneries dont une plus grosse que les autres avec les
copains où l'on a cassé une vitrine pour piquer un magnéto quatre pistes
parce qu'on voulait faire un album. Et là quand on on est ressortis et
qu'on a réglé cette affaire pour laquelle on avait passé trois semaines
dans une vraie prison, c'était pas simple. J'ai senti qu'il fallait que
je bouge et avec un ami on est partis.
On avait découvert un groupe qui
s'appelait Grateful Dead lors d'un concert à Paris alors qu'on
travaillait l'été pour gagner un peu de sous à Roissy. On était
bagagistes et on travaillait toute la journée dans une espèce d'immense
cave. Et on s'est dit "Tiens on va aller en Californie voir ce qui se
passe un peu". C'était la fin du mouvement hippie mais il perdurait
encore. Il y avait là là-bas Grateful Dead, Jefferson Airplane... tous
ce groupes qui nous fascinaient. Donc c'était facile à l'époque. On
avait 100$ de traveler’s chèques et on a pris un aller simple pour San
Francisco. C'est là que Je me suis cassé le tendon d'Achille juste avant
de partir. Donc mon ami est parti seul et je l'ai rejoint plus tard.
Finalement, j'ai passé deux années là-bas. J'étais parti avec ma guitare
quand même. Je l'avais acheté à un bon guitariste qui avait accepté de
me vendre une Stratocaster que je possède toujours, qui est ma guitare.
Je l'ai emmené avec moi et avec le pied dans le plâtre c'était pas
facile. On a vécu presque deux ans à San Francisco et à Los Angeles à
faire de la route comme des clochards. Après on s'est quand même acheté
une vieille bagnole, on faisait des vendanges, des travaux de peinture,
des petits boulots clandestins puisqu'on avait juste un visa de 6 mois.
Au-delà, il n'était plus valable. Et là tu te prends quand même une
gifle musicale quand tu te trimballes à San Francisco car à l'époque les
plus vieux c'était des musiciens comme John Lee Hooker qui jouait dans
un bar et les plus jeunes c'était Santana, Creedence que tu voyais
jouer dans des parcs gratuitement toutes les semaines.
Et quand tu
n'avais pas d'argent, tu allais à l'entrée des concerts, tu disais "Je
suis désolé mais j'ai pas d'argent" on te répondait "Mais rentre". Et
donc j'ai vu un nombre de concerts que tu n'imagines même pas. Même dans
les clubs on rentrait gratuitement. Des clubs qui étaient pourtant des
endroits pour adultes. On a vécu ça plein de fois. On a vécu dans la
musique pendant presque deux ans parce qu'elle était partout en
Californie. Et là, je suis rentré en France et j'ai crée "Reporter"
avec des copains. J'ai d'abord commencé à écrire des textes pour des
copains qui faisaient de la musique et qui me disaient "Tu ne veux pas
nous écrire des textes ?" Car je suis devenu journaliste à "Rock'n'Folk" assez vite. Un jour j'étais parti acheter des cordes et je suis passé devant
la rédaction du magazine et je me suis dit "Voilà un métier pour moi".
Je parle un peu anglais, je peux interviewer des artistes anglais donc
je suis monté, j'ai frappé et je suis tombé sur deux messieurs qui
étaient Philippe Paringaux et Coquelin Je leur ai dit que je venais d’Amérique où j'étais
journaliste. Mensonge éhonté. Je voulais savoir s'ils avaient besoin
d'un journaliste car je connaissais bien le matériel. Et c'est vrai que
je m'intéressais déjà beaucoup au matériel. Philippe Paringaux m'a dit "faîtes-nous un
article sur le matériel d'un groupe, apportez-le nous, on le lira et on
vous dira". Pas facile, car les groupes étaient anglais. A l'époque, je
lisais le "New Musical Express" et il y avait justement un article sur
le matériel de Genesis qui était très long avec tous les détails. Donc
j'ai repris une partie de cet article, je l'ai réécrit en français pour
décrire le matériel du groupe. Je l'ai envoyé ou porté, je ne me
souviens plus et...pas de nouvelles. Et un matin quelqu'un me dit
"Patrick, il y a un article de toi dans "Rock'n'Folk". Patrick Coutin,
c'est bien toi ?" En fait, ils avaient publié mon article. Du coup j'ai
commencé a écrire dans le magazine.
Donc quand tu écrivais dans
"Rock'n'Folk" à l'époque ça devait vendre 200 à 300.000 exemplaires. Ça
rigolait pas. Et tu devenais un mec important même à Sarcelles. J'étais
pas riche mais je voyageais, j'avais les disques gratuits, c'était le
top ! Et là ces copains qui avaient un groupe m'ont dit "Ecrit-nous des
chansons". A l'époque je pensais pas que j'étais un mec important mais
ils avaient dans la tête de dire "Si par hasard c'est Coutin qui écrit
nos chansons, peut-être que ça va lui permettre d'aller un peu plus
loin". Et puis un jour le guitariste de ce groupe est parti. Donc comme
je jouais de la guitare, ils m'ont dit "Tu n'as qu'à jouer de la
guitare". Et un jour c'est le chanteur qui est parti et ils m'ont dit
"Puisque ce sont tes chansons, tu n'as qu'à les chanter" et là on a
commencé à travailler à quatre puis finalement on a fini en trio et on a
créé "Reporter" un groupe qui avait un petit concept à l'époque, qui
était assez rock, qui voulait parler du monde, des choses. Un groupe
témoignage. C'est donc là que s'est créé ce premier groupe.
Existe-t-il des traces de «Reporter» ?
Patrick COUTIN . J'ai
une cassette que j'ai jamais réécouté et elle est quelque part chez moi
à la campagne. On avait fait une collecte auprès de nos amis pour
enregistrer un 45 tours. On était allés dans un studio rue de Seine et on
s'était vautrés. Mais en fait "Reporter" c'est le premier album de
Coutin. En réalité la musique qu'on faisait c'était celle-là et
celle qu'on a enregistré par la suite. On l'a enregistré comme si l'on
était "Reporter" sauf que le groupe, le temps que le disque soit vendu, a
explosé. Donc le témoignage de "Reporter" c'est "j'aime regarder les
filles", "Fais moi jouir", "Urban Guérilla", tous ces trucs là. Bref,
on était plus que trois à l'époque. Quelques fois on jouait avec un
guitariste, quelques fois avec un clavier. On jouait ce répertoire et on
voulait faire un disque car à l'époque tout le monde voulait faire un
disque. Mais c'était compliqué et ça coûtait très cher. Et puis ce qu'on
avait tenté de faire dans un studio n'était pas inaudible mais pas
loin. On avait essayé quelque chose qu'on avait pas les moyens de faire.
Je voulais chanter, par exemple, une chanson en murmurant ce qui était
une belle idée en soi. Sauf que murmurer sur du rock'n'roll, t'entends
rien. On voulait faire un truc un peu provoquant qui s'appelait "2'35 de
plaisir " qui était une parodie de "2'35 de bonheur "d'une chanteuse
française. Mais chanter comme un gars en train de faire l'amour, ça
marchait pas du tout. Un truc avec des soupirs c'était n'importe quoi.
En même temps j'étais encore un peu journaliste.
Et un jour je suis
parti à Hérouville pour interviewer Magma. C'était compliqué d'y aller.
Il fallait prendre le train jusqu'à Pontoise et après il fallait faire
de l'auto-stop jusqu'à Hérouville. Tu traversais 15 km de champs de
tournesols. Et là, j'ai pas eu de chance car Magma n'arrêtait pas de
s'engueuler. Ils étaient en train de s'insulter et ça criait de partout.
Du coup mon interview pour "Rock'n'Folk a tourné court. L'ingénieur du
son de l'époque qui s'appelait Laurent Thibault à dû me prendre en pitié parce qu'il
s'est dit le pauvre, il a fait tout ce voyage. Donc nous avons un peu
parlé il m'a demandé ce que je faisait. Je lui ai dit que j'étais
journaliste à Rock'n'Folk bien qu'il devait le savoir car à l'époque
j'étais un peu innocent. Et il m'a dit "Vous faites quoi d'autre ? Vous
êtes vêtu un peu comme un musicien". Je lui ai répondu que j'avais un
groupe avec des copains. Et là il me dit "Vous avez quelque chose à me
faire écouter ?" Je lui répond que non. Que ce qu'on a fait est mauvais.
Et il me dit "Quand vous reviendrez, faîtes moi écouter quelque chose..
si vous revenez". Et je suis reparti. Un mois plus tard lorsque Magma a
achevé son album pour lequel une fête était organisée à la maison de
disques, il m'a invité pour faire partie de la fête et je lui avais
apporté une cassette de répétitions en lui disant "Si vous voulez
écouter voilà ce qu'on fait". Il m'a rappelé en me disant "C'est pas mal
ce que vous faites mais c'est pas bien enregistré. Il faudrait que ce
soit fait dans de bonnes conditions. Si j'ai une journée de libre et que
j'ai du temps, je vous appellerais et on fera une maquette".
Le temps à
passé. Et un jour le téléphone a sonné et ma mère me dit "Il y a un
monsieur Laurent Thibault qui veut te parler". Et là, il m'a dit "Demain dimanche le
studio est libre. Si vous voulez, vous venez". On a chargé l'ampli, la
batterie et on est parti à Hérouville. Et notre coup de chance c'est que
Jacques Higelin qui devait prendre la suite le lundi à mis 15 jours à
arriver. Du coup on est resté là-bas et on a fait l'album. C'est très
difficile d'enregistrer pour la première fois de ta vie dans un studio.
C'est comme si tu as une loupe sur toi en permanence. C'est épuisant. On
était pas sûr que ce soit vraiment un avenir pour nous. Et là tu
comprends qu'il y a une vraie différence entre Led Zeppelin et toi. Tu
vois très bien que ton solo de guitare ne va pas très loin quand tu
écoutes Jimmy Page à côté. On est donc reparti chacun de notre côté.
Moi, je voulais me lancer dans la technique. J'étais en train de devenir
sonorisateur du Gibus qui était un endroit où passaient plein de
groupes que j'aimais. Mais les nouvelles étaient pas bonnes car Laurent Thibault qui
espérait un peu que mon nom de journaliste me permette de vendre l'album
n'a pas réussi à le vendre. Et nous on s'en foutait en fait, moi le
premier. C'était là, on l'avait enregistré, c'était des maquettes et
personne n'en voulait. On a continué à jouer au Gibus, dans des fêtes,
etc... et un jour un mec qui s'appelle Daniel Lesueur, qui est toujours
journaliste, est venu nous voir et nous a dit "Les gars, je trouve
génial ce que vous faites. Je produit un album". On lui a dit "Écoutez,
on en a fait un l'année dernière. Personne n'en veut de notre album. Il
s'est vautré de partout. Donc on a pas vraiment envie de se relancer là
dedans et vous allez dépenser beaucoup d'argent pour rien". Il nous a
répondu "Et bien faites-le moi écouter".
Donc
on lui a donné la cassette et il nous a dit "C'est super! Il est génial
votre album". Donc il est parti démarcher et il a trouvé plusieurs
maisons de disques qui étaient intéressées. Comme quoi le monde est
bizarre. Il a recontacté Laurent Thibault et on a été littéralement vendus à une
boîte qui s'appelait CBS. C'est à dire que le disque leur appartenait.
J'avais pas le choix, il a fallu signer. Le bassiste avec qui j'étais,
on parle toujours "Reporter", ne voulait plus vraiment faire de la
musique et souhaitait devenir inspecteur général de mathématiques, ce
qu'il a fait d'ailleurs. Puis entraîneur d'athlétisme puisque c'était sa
passion. Et à l'époque CBS n'avait vraiment pas envie de s’embarrasser
avec un groupe et nous a dit "On le sort mais sous votre nom". Le
batteur n'était pas très enchanté de l'affaire mais on avait guère le
choix. On a touché si je me souviens bien, pour notre album, 20.000
francs de l'époque qu'on a partagé. On a pris 7000 francs chacun. Et
puis l'album est resté là pendant un an et est sorti plus tard. Donc
c'est pour ça que lorsque tout le monde me dit que je suis un chanteur
des années 80, je dis non. Cet album a été fait en 1979. C'est vraiment
de la musique de la fin des années 70.
Quel effet ça fait d'avoir un gros tube avec «J’aime regarder les filles» ?
Patrick COUTIN . Ça n'a pas cartonné tout de suite. C'est sorti en mars et tout le monde l'a refusé parce qu'un garçon qui s'appelait Michel Castri avait décidé que c'était "J'aime regarder les filles" la meilleure chanson de l'album. Le patron de CBS à l'époque Alain Levy avait décidé de sortir "Fais-moi jouir" parce qu'il trouvait que c'était trop sexy. Et donc ils ont sorti cet album. A l'époque tu n'avais que des majors. Tu avais RTL et Europe 1. Et toutes les maisons de disques ont dit non. Pas question, on joue pas ça. C'est trop rock, trop coquin, trop provocateur. Et donc c'était râpé dans une certaine mesure. Pour moi la maison de disques avait dit personne n'en veut. Pourtant il y avait eu une campagne de pub et ils avaient mis quand même un peu de moyens. Quelques articles de presse, aussi, mais on était pas à la mode. Et puis est arrivé mai 81 avec les élections présidentielles où Mitterrand s'est fait élire. Et là-dessus, il y avait plein de gens qui attendaient pour lancer les radios libres. On a pensé que c'était un mouvement spontané mais pas du tout. Beaucoup avaient déjà investis dans des émetteurs, plein de choses comme ça. Sous le gouvernement précédent tu ne pouvais pas mais Mitterrand avait visiblement décidé de laisser faire. Et c'est là que le titre à démarré parce que les radios libres se sont emparées de ça, parce que c'était pile ce qu'elles voulaient. C'était rock, jeune, libre, provoquant et pour elles c'était cool. Et donc, subitement, c'est devenu un tube. Mais c'est devenu un tube à la fin de l'été puisque ça n'a cessé de grimper durant l'été 81. Et quand je suis rentré à Paris, effectivement c'était un tube. Mais franchement tout ça me passait au dessus de la tête. Et quand j'y pense, aujourd'hui, je me dit que vraiment j'étais innocent. Je ne me rendais compte de rien. Donc tu te dis, très bien, j'ai fait un tube. Et on a commencé à m'inviter à droite, à gauche. Le plus étonnant c'est, qu'en septembre, on va dans un endroit qui s'appelle le Bus Palladium, avec mes potes, habillés comme des clodos comme on était tout le temps mais en faisant attention. On était des clodos déguisés en pingouins avec les cheveux longs mais en même temps avec une cravate et tout. Et on essaie d'aller au Bus Palladium pour aller écouter un groupe qui devait être les Troggs ou quelque chose comme ça et on se fait virer comme d'habitude. On arrive à la porte, le mec nous regarde et nous dit "vous, non ! mettez vous sur le côté" alors que c'était quand même du rock pour les rockers. Deux mois plus tard un mec de la maison de disques m'invite au Bus Palladium et, là, tu as Champagne, des mannequins partout autour de toi et dès que tu dis un truc idiot tout le monde rigole. Et tu te dis si c'est ça le succès !?.. T'avais pas l'impression que c'était toi le succès. En fait tu avais l'impression que c'était ton succès mais que ce n'était pas toi quon aimait. C'était juste le succès. C'est la célébrité ! D'ailleurs aujourd'hui encore ce que l'on aime c'est le côté connu. Parce que c'est allié avec le pouvoir, avec l'argent. Donc moi, ça m'a pas plu. Dans un premier temps j'ai dis à CBS, "J'arrête, j'ai fait un album, je suis content. Maintenant je vais faire ce que j'ai toujours rêvé de faire c'est à dire écrire un livre". Et puis, évidemment, tu commences à toucher de l'argent de ton succès. Tu fais des concerts, tu invites tes potes, enfin ! et tu te rends compte que le côté intéressant d'être un vrai musicien c'est que, subitement, on te demande d'écrire des chansons. Donc j'ai fait un deuxième album pas très joyeux, un album très sombre qui s'appelle "Un étranger dans la ville" qui, évidemment, n'a pas fonctionné. Car cette fois-ci c'était franchement du rock un peu lourd qui parlait de la drogue, de prostitution, qui parlait de tout ça. Et tout le monde a dit "On croyait que c'était un chanteur pour midinettes. Qu'est-ce qu'il nous fait celui-là !?" Il nous fait "Joe et Cathy", l'histoire de Aldo Moro, et des machins comme ça". Mais ça m'allait. J'avais trouvé ça plutôt bien comme façon de sortir du truc.
Tu as aussi enregistré ton second album « Un étranger dans la ville », au Château d’Hérouville avec Dan Ar Braz et les musiciens de Higelin. C'est un album plus sombre, parle nous de cet enregistrement. ?
Patrick COUTIN . Cet
enregistrement a été une catastrophe. Moi-même, comme je te l'ai dit,
j'avais moyennement envie de faire ce métier. Mais par contre j'avais
beaucoup de moyens. Pour preuve, j'avais de supers musiciens comme Dan
Ar Braz. Le château d'Hérouville était sur sa fin. Tout le monde était
défoncé à l'héroïne dans cette affaire sauf moi car je ne prenais pas ce
genre de truc. J'avais vu trop de gens mourir. De ma génération,
beaucoup sont morts de cette saloperie. Donc, Il y avait de grands
bassistes avec moi et de supers musiciens. On ne peut pas dire que ce
soit un album raté. Je trouve que les chansons sont bonnes et les
musiciens sont excellents mais c'est l'album de la fin de l'innocence.
Jusque là j'avais fait ce métier, rêvant. Au château d'Hérouville je
connaissais tout le monde, de la femme de ménage jusqu'à la femme du
patron. Et subitement tout est parti en sucette avec ces drogues. Moi je
fais partie d'une génération de drogués mais nous c'était la marijuana
et le LSD. C'était des drogues qui t'ouvraient aux autres. Avec
l'héroïne et plus tard la cocaïne, ce sont des drogues qui te
renfermaient et qui te coupaient des autres. On était dans un monde qui
était en train d'exploser. Donc cet album, qui n'était pas mauvais,
reste un mauvais souvenir pour moi. Bien que je joue toujours sur scène
"un étranger dans la ville". Car il faut comprendre une chose. Tu peux
faire une chanson que tu adores. Si par hasard pendant la chanson que tu
adores tu perds ton meilleur ami, ça reste la pire chanson de ta vie.
Quand tu es artiste, comme un être humain normal, tu vis avec tes
émotions et tu te souviens plus de tes émotions que des petits faits ou
comment tu as composé, etc...Moi je me souviens de mes émotions. Est-ce
que j'ai aimé ce moment, est-ce que je ne l'ai pas aimé ? Autant le
premier album, à Hérouville, était une espèce de rêve de gamin autant le
deuxième c'était un peu la descente aux enfers. J'avais beaucoup
travaillé pour écrire les chansons, J'avais des musiciens comme Dan Ar
Braz, Paganotti qui était de supers musiciens, C'était un studio qui,
même s'il était un peu sur sa fin, était l'un des meilleurs studios du
monde mais pour moi ça reste un moment que j'aurais bien aimé ne pas
vivre.
Tu a écris dans des journaux musicaux le journalisme rock devait être bien différent d'aujourd'hui ? Des anecdotes ?
Patrick COUTIN . Je
ne sais pas s'il est différent d'aujourd'hui car je n'y suis plus.
D'abord on était des gamins. On avait vingt ans et tu allais voir les
Rolling Stones, Ted Nugent, Santana. Quelquefois on t'emmenait. Je me
souviens avoir passé 15 jours aux USA et y avoir vu dix concerts de
suite. T'arrivais à New York, tu voyais un groupe. Le lendemain on
t'emmenais à San Francisco, tu voyais Meat Loaf. Deux jours plus tard tu
descendais à Los Angeles, tu voyais les Eagles. Donc on s'amusait
beaucoup. J'aurais jamais pu me payer tous ces voyages. On descendait
dans les plus beaux hôtels, on voyageait en 1ère classe, alcool à
volonté. Cependant, c'était un monde assez concurrentiel. Il faut se
souvenir de ça car il y avait beaucoup d'argent dans la presse à
l'époque. Quand un journal vendait 150/200.000 exemplaires, il y avait
la publicité. Donc pour les journalistes c'était un peu la bagarre
quelquefois pour les interviews. Je me souviens d'une fois où nous
étions 4 ou 5 pour interviewer Frank Zappa. J'étais passé en premier et
je ne sais pas pourquoi mais il avait décidé qu'il ne ferait pas 4 où 5
interviews. Du coup il m'a gardé pendant 3 heures. J'étais content parce
que je lui posais des questions techniques. Il me répondait sur les
gammes, son matériel et tout. J'aurais pu faire un article de 20 pages.
Quand je suis sorti, il a dit "Fini" et son attaché de presse a
acquiescé. Et là je suis sorti sous les regards de haine de mes
camarades qui disaient "On est là à l'hôtel de beaux-arts depuis deux
heures de l'après-midi". Donc on essayait quand même, chacun, d'avoir
une interview un peu différente des autres et il y avait forcément une
sorte de concurrence. Mais c'était aussi un métier qui était très
ouvert, dans lequel, nous autres journalistes, on cherchait tout le
temps le truc à dire différent des autres. On passait beaucoup de temps à
écouter de la musique, on écoutait de tout. Mais il y avait moins de
choses à écouter qu'aujourd'hui. C'était un monde un peu différent mais
un monde dans lequel il y avait beaucoup de productions de disques, dans
lequel les maisons de disques avaient beaucoup d'argent et dans lequel
on s'amusait beaucoup. Et que ce soit avec des groupes comme les Sex
Pistols ou avec Springsteen ou avec d'autres, tout le monde vivait un
peu cette insouciance. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les journaux
vendent moins, que les journalistes de rock sont plus dans la grande
presse quand ils sont importants donc dans laquelle ils ont moins de
place. Et ce doit être forcément plus difficile. Mais je ne peux
vraiment pas en parler puisque je n'y suis pas, bien que j'ai quelques
amis dans la presse. Par contre je trouve que c'est un peu les mêmes
qu'avant. Des passionnés de musique, des gens qui écoutent des albums,
qui parfois se bagarrent pour parler d'une musique dont leur rédacteur
en chef ne veut pas. Et c'était déjà le cas à l'époque. Je me souviens
lorsque j'ai écris sur le premier disque de Dire Straits, personne n'en
voulait. Tout le monde disait "C'est quoi ça, c'est de la guitare".
C'était en pleine période Sex Pistols. On a donc sorti le journal avec
cette chronique. Deux mois après Dire Straits était premier dans le
monde entier. Pas grâce à moi mais grâce à eux. Ce que je veux dire
c'est que, quelquefois, on se bagarrait un peu pour nos idées. On était
dans une presse qui était très large, très grosse. Il y avait Best,
Rock'n'Folk, il y avait des pages dans les journaux qui étaient
importantes notamment dans la presse hebdomadaire et mensuelle.
Aujourd'hui je vois des gars comme Stan Cuesta, Bruce Tringale, des mecs comme toi. Vous
arrivez, vous avez préparé votre sujet. Malheureusement vous avez un
monde moins favorable.
Tu as du faire de belles rencontres avec des Rock Stars ? Lesquelles t'ont marqué le plus ?
Patrick COUTIN . Plein
d'anecdotes. Par exemple le jour où j'ai interviewé un groupe qui
s'appelait Boston. On était d'ailleurs à Boston. Je ne connaissais pas
ce groupe et on me dit "Ah, c'est Boston, c'est énorme en Amérique.
Pendant que vous êtes là, il faut le faire". Donc tu écoutes vite fait,
tu dis "Oui c'est bien" mais tu connais pas les gars. C'était dans un
grand hôtel, un palace avec une suite. Il y avait 4 ou 5 pièces où tout
le monde répondait aux questions des journalistes et j'en vois un qui
ne faisait rien. Je me dis "Bon c'est le mien" et j'y vais. Comme je
parlais musique et aussi matériel, je me lance. A la fin de mon
interview, l'attaché de presse vient me voir et me dit "Patrick, il
faudrait que tu interviewe un mec de Boston". Je lui répond "Ah bon,
mais lui c'est qui ?" et il me dit "Lui, c'est le manager de Boston" qui
était aussi musicien.
C'était
à mourir de rire! Mais au final l'article était excellent. J'ai des
souvenirs extraordinaires d'interviews avec Santana, avec Ted Nugent
aussi. J'adorais sa guitare qui était une sorte de guitare Jazz qu'utilisait rock. J'étais venu avec
ma copine de l'époque. A la fin il me dit "Si tu me laisses ta copine
pour la soirée je te donne une de mes guitares". Je dis à la fille "tu
as vu cette guitare? Il y en a probablement pour 20 à 30.000 dollars.
Tu vois, tu vaux 30.000 dollars pour Ted Nugent". Plein de petits trucs
comme ça. En général, tous ces musiciens étaient des gens quand même
très intéressants. Les musiciens Anglo-saxons jouent toujours très bien
leur jeu. Ils sont dans les rails comme il faut être. C'est à dire, le
gars il peut faire du yoga. S'il a décidé qu'il vendait du hard rock, il
te vendra du hard rock et il ne te parlera pas de yoga. Donc déjà ce
sont des gens professionnels qui se débrouillent pour que tout le monde
ait la même interview. Lorsque tu sortais, tu disais "J'ai fait un truc
super". Tu lisais trois journaux, t'avait la même interview. Mais
c'était des gens intelligents. C'était souvent de très bons musiciens
même lorsqu'ils faisaient semblant de ne pas l'être parce qu'a une
période il fallait être punk. C'était des gens sympas, des gens de ta
génération. Tu avais 25 ans et tu interviewais des gens du même âge
souvent assez simples et agréables. Le plus dur c'était la pression du
journal qui voulait que tu écrives vite car il fallait écrire vite, qui
te coupait parce qu'il ne restait plus qu'une page et qui, quelquefois,
voulait absolument que tu écrives sur un sujet qui ne t'intéressait pas.
Mais ça, c'est le métier de journaliste. J'ai de grands souvenirs en
tout cas. Un des plus beaux c'est Santana qui n'aimait pas parler de sa
vie privée et qui m'a fait une démonstration de son matériel sur scène
incroyable, d'une gentillesse totale. C'était, si je me souviens bien,
au Pavillon de Paris. Passer une heure sur scène avec lui c'était juste
énorme. D'ailleurs tout le monde se demandait "Qu'est-ce qu'il fout sur
scène celui-là". J'en ai rarement rencontré de désagréables. Si un seul,
Sting ! Mais je pense que lui c'était son truc d'être désagréable.
Tu écris «Gueule d’amour», un roman policier jamais paru : quelle en est la raison ?
Patrick COUTIN . Et bien, il y a plusieurs raisons. Les gens qui étaient intéressés par ce roman policier m'ont demandé de le réécrire, du moins de réécrire une partie du roman. Notamment parce que ça finissait avec des groupuscules d'extrême gauche qui devenaient des mafiosos comme c'est arrivé à plein de gens qui, au début, étaient dans la politique et en me disant que l'on ne pouvait pas parler de l'extrême gauche comme ça. Alors, je ne dirais pas qui c'était parce que je pense, qu'aujourd'hui, ça ne plairait pas. Je n'ai pas voulu changer mon texte. J'ai dis non! C'était un premier roman et je ne pense pas que c'était un truc génial. Mais j'avais oublié que j'avais écrit ce truc là et donc j'ai dis oui, je m'en occupe. Et je ne l'ai pas fait. J'ai mis tout ça dans un coin et je n'y ai plus jamais retouché.
Ton label fait faillite lors de la sortie du ton 6ème album « Aimez vous les uns les autres », a-t-il été difficile de promouvoir ce disque ?
Patrick COUTIN . Il
est sorti peut-être deux jours avant la faillite. C'était très dur pour
plusieurs raisons. D'une part car j'avais beaucoup d'empathie pour New
Rose qui était le label de Patrick Mathé avec lequel je m'entendais
bien. Même si nous étions très différents, je l'aimais bien. C'était un
espèce de nounours très malin, très homme d'affaires et qui avait
beaucoup de respect pour les artistes. En fait, je m'étais fâché avec
CBS et j'étais parti pour une histoire de liberté. C'est à dire qu'ils
voulaient que je fasse quelque chose et moi je ne voulais pas le faire.
J'avais fait un disque qui n'était pas comme ils le voulaient et ils ne
l'ont pas sorti. Donc on s'est fâchés et Il y a eu un procès.
D'ailleurs, durant 3 ou 4 ans, je n'ai pas pu faire de musique. Et donc
j'ai voulu prendre mon indépendance. Un garçon qui s'appelait Bernard Nove Josserand m'avait aidé et avait créé pour moi Louise Music qui est toujours ma société de
production. Bernard était un des plus grands attachés de presse français et
c'était aussi mon ami. On s'amusait comme des fous. On avait transité
par une maison de disques située à Lille qui s'appelait Danceteria où l'on
vendait énormément de disques. C'était la fin du vinyle et j'étais
rentré chez New Rose parce que je trouvais que ça m'allait parfaitement.
Des gens libres, indépendants, acceptant ce que tu étais, acceptant
l'échec aussi parce que tu ne peux pas faire que des chansons qui
plaisent à tout le monde. Là-dessus, alors que tout allait bien, Fnac
musique qui avait racheté New Rose dépose le bilan. Et là tout s'arrête.
L'album qu'on venait tout juste de finir, comme tous ceux résultant
d'une mise en faillite à disparu. Ça été un moment très dur pour lequel
j'avais décidé d'arrêter en me disant si c'est ça, c'est pas la peine de
continuer. Je vais faire autre chose. Et puis je n'ai pas arrêté parce
que, finalement, Polygram m'avait contacté en me disant "On voudrait,
d'une part, sortir vos anciens albums et faire une compilation et,
d'autre part, on voudrait un nouvel album. C'était un beau deal où je
pouvais être indépendant et libre mais ça s'est pas bien passé non plus
parce que je crois, finalement, que j'ai un problème avec l'autorité.
J'ai un problème avec les gens qui me donnent des ordres. Quelquefois je
me dis, ils avaient raison c'est ce qu'il fallait faire. Mais sur le
coup...ça passe pas!
Tu produis 3 albums de Dick Rivers, "Plein soleil" "Vivre comme ça" "Amoureux de vous", comment s'est passée votre collaboration
Patrick COUTIN . Alors,
c'est Patrick Mathé. New Rose est en cessation d'activité. Patrick
continue et ouvre une petite boîte. On dîne un soir ensemble et ce
jour-là quelqu'un me contacte et me dit "J'ai fait des maquettes avec
une jeune fille qui tourne dans Paris et j'ai entendu celles que vous
avez faites. Je trouve que c'est très bien et je souhaiterais vous
proposer quelque chose. Je voudrais réenregistrer les tubes de Frank
Alamo". Je lui répond "D'accord mais vous savez, c'est Phil Spector. La
moitié des chansons, derrière, c'est la production américaine. Les
titres comme "Si j'avais un marteau", c'est pas fait en France". Et il
me répond "Non, nous ce qu'on aime c'est la façon dont vous produisez
avec des machines et des boîtes à rythmes". On était dans les années
85/87, peut-être même 90 et je me disais que j'allais quand même pas
faire "The leader of The gang", des machins comme ça avec des boîtes à rythmes. En plus il y
avait plein de réverbe. C'était la production Phil Spector. Je dis à
Patrick Mathé "Je suis un peu embêté car j'avais besoin de travailler,
quand même, et Warner me proposait ce projet. C'était quand même sympa
de réenregistrer une vingtaine de titres qui avaient été des tubes
mondiaux et
qui avaient marqué les années 60 dont certains que je ne connaissais
pas si bien que ça. Et il me répond "Mais tu t'embêtes pour rien, vas à
Austin !" Je lui dit "Pourquoi Austin?" Et il me dit "Parce qu'à Austin
tu as des musiciens partout. C'est leur musique. Ils jouent tous ça les
dimanches dans les bals ou des choses comme ça. Donc, tu vas aller
là-bas, tu vas faire ça en une semaine et tu auras le vrai son". Et je
me dis pourquoi pas. Il me donne une adresse, j'appelle et effectivement
ça rentrait dans le budget. Tu allais à Austin, tu avais un super
studio donc j'y vais, je fais cet album qui prend un peu plus de temps
que prévu et à la fin de cet album, on va dans le studio de Willie
Nelson, qui là-bas, est une immense star. Pourquoi? Parce qu'il manquait
trois jours. Et en fait, dans le studio où j'étais, il y avait le même
matériel que dans celui de Willie. Les deux studios lui appartenaient et
celui-ci était son studio privé. Le patron me dit "Je vais demander à
Willie s'il accepte de vous louer son studio pour 3 jours". Et,
là-dessus, Patrick Mathé est de passage à Austin. Il arrive dans le
studio pour voir l'ingénieur du son qu'il connaissait. On parle un petit
peu et il écoute le travail que je viens de faire. Et là il dit "Ah!",
rien de plus. Rentré à Paris, il parle de moi à Dick Rivers en disant
"J'ai rencontré un mec que je connaissais mais je ne savais pas qu'il
pouvait produire et il a travaillé à Austin". Il est vrai que j'étais à
l'aise. Tous étaient mes potes en une semaine. J'étais cool avec les
musiciens. J'avais l'impression d'avoir vécu toute ma vie là-bas. Et il
lui dit "Tu peux aller travailler avec lui à Austin". Car quand tu vas
avec des français, là-bas, ça se passe pas toujours très bien. Avec lui,
par contre, pas de problème. Et donc Dick Rivers m'a appelé. "Venez
dîner à la maison, il faut que je vous parle". Mathé m'avait dit qu'il
allait en parler à Dick car ils étaient copains. Je vais chez lui, on
écoute plein de trucs, ses derniers albums, des maquettes qu'il me fait
découvrir et il me dit "Je voudrais que l'on travaille ensemble". Et,
malpoli comme je suis, je lui dit "Déjà, les maquettes que vous m'avez
fait écouter, je trouve que c'est pas bien. Alors je veux bien
travailler avec vous si vous acceptez de prendre des cours de chant". Et
là, j'ai cru qu'il allait me tuer. On était à table et je me suis dit
que j'allais me prendre l'assiette dans la gueule. Je vois sa femme qui
me regarde de travers. En fait, il savait chanter mais je voulais
enlever les tics. Je lui explique, "Vous avez plein de tics que vous
avez accumulés avec le temps. Vous avez une voix qui est très belle mais
il faut enlever ces tics. Il faut chanter plus simple". Il me dit "Oui,
mais je suis Dick Rivers!". Je luis dit "Je sais mais si vous me faites
venir pour travailler avec vous c'est pas pour faire le même album que
vous avez enregistré, qui s'appelle d'ailleurs "Holly Days in Austin",
il y a 3 ans. C'est pour essayer de trouver autre chose". Et là il
rétorque "Non, c'est pas comme ça que je veux travailler". Je lui répond
"Merci pour le repas, je suis ravi de vous avoir rencontré" et je lui
demande un autographe au passage pour un pote.
Un mois après, le
téléphone sonne. "Bonjour, c'est Dick !" Je lui dit "Bonjour Dick,
comment allez-vous ? car on se vouvoyait à l'époque. Et il me dit "Mais à
qui vous pensez comme prof de chant ?". Je lui répond "Laissez-moi
réfléchir...Ce que je veux dire au fond c'est qu'il faut que vous
acceptiez de changer votre façon de chanter. Si vous acceptez, le
professeur auquel je pense c'est moi. Vous enlevez la patate chaude de
la bouche, vous remontez un peu la voix, vous ne vous servez pas tout le
temps de vos basses et si vous êtes d'accord pour que l'on essaie ça,
je suis d'accord pour que l'on fasse des maquettes". Et là il me répond
"Non, moi je ne fais pas de maquettes. Il paraît que vous travaillez à
Austin, que vous travaillez dans le studio de Willie Nelson ?". "Oui
mais je ne sais pas s'il acceptera de me faire travailler chez lui. et
là il me dit "Oui ça m'intéresse, venez me voir". Donc je suis parti le
revoir et il m'a dit "Je veux que vous fassiez mon prochain album, je
veux que vous trouviez les chansons, que vous m'écriviez des chansons et
que vous dirigiez les séances d'enregistrements. La première chose que
j'ai fait a été de rappeler le patron du studio de Willie Nelson en lui
demandant s'il voulait bien me louer son studio. Car un gros album ça
prend au moins 1 mois et demi. Le patron m'a répondu "Ah non c'est pas
possible". Je lui dit "Mais est-ce que vous voulez bien lui demander
quand même ?". Il me répond "Je veux bien mais Willie n'acceptera jamais
de ne pas avoir son studio pendant un mois et demi. 3 ou 4 jours tout
au plus". Il me rappelle 3 jours plus tard et me dit "Willie est
d'accord, il vous loue le studio". Pour moi c'était un miracle.
Donc
j'ai dis à Dick "Vous me donnez un an, je récupère les chansons, je
prend les chansons que je veux, je vous en propose 20, vous choisirez
dans les 20 mais les chansons de vos copains que vous voulez me passer,
j'en veux pas. Je prend les musiciens que je veux et on y va. On va
travailler et vous allez un peu souffrir car je veux que vous chantiez
comme un gamin de vingt ans et que ce soit simple". Et on a fait "Plein
Soleil" qui, je pense est un bel album et qui a changé la fin de la vie
musicale de Dick sur lequel ça reste, finalement, du Dick Rivers pur
sucre. Mais c'est vrai que c'est un album plus moderne dans le chant que
ce qu'il avait fait avant où il rentrait un peu trop dans la caricature
du rocker. Après l'album a été bien accueilli et Dick m'a dit "Je
voudrais que tu montes mon groupe pour la tournée. Donc ça été la même
bagarre car je lui ai dit "Ça sert à rien car vous me dites que vous
voulez jouer avec machin, machin et machin et vous me demandez de monter
votre groupe. Moi je ne monte pas un groupe comme ça. Déjà je n'aime
pas votre guitariste, j'aime pas votre batteur. J'en veux d'autres". Il
me dit "Ah non c'est pas possible". Une semaine après il me rappelle
"Bon d'accord on y va". Je pense que sa femme avait beaucoup
d'importance dans cette affaire. Et puis aussi son manager de l'époque
qui s'appelait Francis Kertekian avec lequel j'étais devenu très proche. Et donc on a
sélectionné 10 musiciens. J'ai gardé Chris Spedding, guitariste
faramineux. Pour moi c'était presque une idole. Et on a fait Bobino. On a
fait plein de concerts, de la promo avec des musiciens un peu
différents, notamment un guitariste français qui s'appelait François Bégin et qui a
remplacé Chris Spedding. un musicien que j'adorais. Avec un batteur
comme Franck Ridacker qui était un batteur en devenir mais qui était parfait pour
Dick. On a passé, je pense, 4/5 ans à beaucoup s'amuser, à faire trois
albums à Austin, à faire le Live à Bobino qui était un super Live, à
faire des trucs abracadabrants. On a eu, par exemple, sur scène à Paris
l'ancien guitariste des Stones Mick Taylor, Chris Spedding, une chorale
de Gospel de 30 ou 40 personnes. On a été complices. On s'est amusés
pendant pas mal de temps.
Quelles relations avais-tu avec Dick Rivers ?
Patrick COUTIN . J'ai
arrêté de travailler avec lui pour des raisons que je ne peux pas dire.
Des raisons personnelles et familiales. Mais à un moment, il a fallu
que j'arrête de travailler avec lui parce que ça interférait dans ma vie
personnelle, avec mes enfants. Je lui ai dit "Dick, j'arrête !" Lui
"Ah, non tu peux pas me faire ça !". Donc ça lui a permis de travailler
avec d'autres personnes. Il m'appelait pour tous les anniversaires,
m'invitait pour des concerts. A chaque fois qu'il faisait des chansons
que j'avais écrites pour lui comme "Oh Maman merci", il m'envoyait la K7
de la répétition. Lorsque son décès a été annoncé, ça été très dur pour
moi car j'avais toujours l'impression que l'on allait retravailler
ensemble. Il disait souvent "Il faudrait que..." et je lui disais "Oui,
un de ces jours..." Tu ne penses pas que tout peut s'arrêter si vite".
Et c'a ne s'est jamais fait mais c'est resté un ami. Il avait la plus
belle collection de médecins du monde. A chaque fois que j'avais un
copain qui était malade je l'appelais pour lui dire "Dis-moi, tu connais
pas un mec spécialiste des reins...!?" ou des choses comme ça. On a
vécu une histoire magnifique, Dick et moi. Parce que c'était l'histoire
de deux gars qui étaient passionnés. Il était passionné ce mec. Tu le
mettait devant un bon musicien, il tombait à genoux. Quand on a fait
venir ce batteur incroyable, dont j'ai oublié le nom, qui jouait sur son
deuxième album et qui avait joué au sein des Mad Dogs and The
Englishmen, un des plus grands batteurs mondiaux, il était comme un
enfant devant un jouet lorsqu'il s'est retrouvé face à lui. On était
issus de deux mondes différents, clairement, car celui des stars des
années 60 était très différent du mien. Mais on était liés par cet amour
du rock et de la musique qui fait que devant de la bonne musique, on
devenait dingues et on pouvait passer des heures à écouter des trucs.
Quand on était aux États-Unis, il voulait toujours des voitures
invraisemblables, en général des Cadillac, et on passait des heures à
tourner en bagnole à écouter la radio américaine. Il aimait la bonne
musique et ça nous a beaucoup rapprochés. Et puis c'était un mec
marrant, un petit voyou quelque part, un branleur de Nice. Il était
resté comme un gamin de 16 ans qui s'amuse. Pas comme Eddy qui est une
sorte de grand monsieur. Dick, c'était ça...
Tu as également collaboré avec des artistes comme Michel Delpech, Roch Voisine, Patrick Rondat les Wampas.
Patrick COUTIN . Quand
on appelle Coutin c'est qu'on veut toucher un peu au rock en France.
C'est "J'aime regarder les filles", ce son et cette espèce de
construction un peu inhabituelle pour une chanson puis c'est aussi, sans
doute, par ce que je dégage. Avec Michel, qui était un chanteur
faramineux, tu lui aurait donné ta feuille d’impôts à chanter, ça aurait
été joli. C'était une relation très respectueuse. J'étais très
impressionné par lui. C'était un monsieur très fragile, dans le doute
tout le temps. J'ai appris beaucoup de choses en travaillant avec lui, notamment cette insatisfaction permanente. Première prise de voix
c'était génial, tu en faisait cinquante derrière! Roch Voisine, c'était
différent. C'était dans le cadre de collaborations à la télévision.
Souvent ça passe vite. Tu as monté un groupe, il vient, il chante. Tu
peux pas dire que tu connais la personne si ce n'est que, comme beaucoup
de chanteurs venant du Canada, ce sont des gens très précis et très au
point. Les Wampas, c'est une histoire d'amour avec Didier Wampas. A
l'époque où l'on m'a proposé de travailler avec eux, c'était un groupe
qui se cassait la gueule. Pour tout dire il n'y avait plus de groupe
littéralement. C'est moi qui ait cherché le bassiste avec lequel ils
jouent toujours. Je les ai emmené à Austin dans le studio de Willie
Nelson. Je peux te dire que les américains ne croyaient pas ce qu'ils
entendaient. Pour moi, Didier Wampas c'est resté une histoire d'amour.
Je l'adore. C'est un chanteur qui a un courage, qui y va et qui est
devenu un très bon guitariste avec le temps. Il ne jouait pas de guitare
quand j'étais avec lui. J'étais pas dingue de ses guitaristes mais là,
maintenant, quand je le vois sur scène, il joue de la guitare comme il
faut la jouer. Un exemple ! J'ai beaucoup d'affection pour lui. C'est
l'une des belles rencontres de ma vie. Alors on se regardait un peu en
chien de fusil car, par rapport à Dick, c'était le vieux rock et pour
lui, j'étais le jeune. Mais pour Didier Wampas, c'était moi le vieux
rock et lui le jeune. On s'est beaucoup amusés et j'ai adoré le disque
qu'on a fait ensemble.
Tu t'investis dans le montage et la production artistique de la comédie musicale « Ginzburg », parle-nous de ce projet ?
Patrick COUTIN . Ca
se passe dans les années 2001/2002. Je sors un album qui s'appelle
"Industrial Blues" chez Polygram ou chez Phillips, je ne me souviens
plus très bien du label et là, il se passe un truc qui m'est resté au
travers de la gorge. L'album sort à Noël. Ils en mettent 20.000
exemplaires en place. C'est pas énorme pour l'époque mais c'est quand
même une belle mise en place. Et puis, vers le 15 décembre, des amis
m'appellent et me disent qu'ils ne trouvent pas mon disque. Je leur
répond que ce n'est pas possible car il vient juste de sortir. Je vais
chez le garçon qui m'avait signé et je lui demande comment se fait-il
qu'il ne soit pas dans les bacs car, jusqu'à présent, tout s'était bien
passé, les photos, la pochette, tout fonctionnait. L'avantage d'une
grosse maison de disques c'est que tu as des moyens et que ça
fonctionne. Et je dis à Olivier "Comment se fait-il que les gens ne
trouvent pas mon album ?". Et il me répond " Je vais te dire la vérité.
Aujourd'hui on vend 20.000 2Be3 par jour. Je vais pas arrêter les
presses pour vendre 10.000 Coutin. Donc on le ressortira et si tu veux
je te paierais un clip". C'était honnête mais je me suis dit que les
Majors c'était décidément pas pour moi. Donc j'ai pris mes distances
avec le monde de la musique. De là, un copain que je connaissais depuis
longtemps Edgar Garcia s'occupait d'un truc qui s'appelait ZebRock auquel j'avais
déjà participé, car j'avais créé des ateliers avec des musiciens pour
lui, me dit "Tu sais ils montent une salle de musique à Bobigny et ils
auraient besoin d'un conseiller artistique". Je lui dit "Tu sais,
diriger une salle à Bobigny, c'est pas trop mon truc". En plus je
sortais mon album chez Universal. Et il me dit "Quand même, tu devrais y
aller". Je me rend compte qu'il veut que je candidate. C'est vrai qu'il
y avait un appel d'offre pour une candidature. Donc je me suis dit que
j'allais faire plaisir à Edgar Garcia et je me porte candidat. On était à 3 ou 4
mois de la sortie de mon album "Industrial Blues". Je passe un premier
test, je rencontre des gens et je repars. Ils me rappellent en me disant
"C'est intéressant. On aimerait que vous rencontriez le maire". Donc je
repars à Bobigny, je rencontre le maire, je rencontre la première
adjointe et puis le temps passe. Vers novembre/décembre, la dame que
j'ai rencontrée me rappelle et me dit "J'aimerais vous reparler". Et là,
le futur conseiller était devenu le futur directeur d'un lieu. Donc, je
vais la voir et je lui dit "Ecoutez, c'est pas possible, ce n'est pas
mon métier. Je ne suis pas directeur d'une salle de musique. J'avais dit
que j'étais d'accord pour vous aider, sans même d'argent, mais je ne
peux pas devenir employé à plein temps, d'une ville ou quelque chose
comme ça". Et elle me répond "Oui mais quand même il faudrait que vous y
réfléchissiez". Et il y avait un monsieur qui était là qui me dit "Ne
vous inquiétez pas". Je me disais qu'elle n'avait pas compris ce que je
lui expliquait. On sort et elle me dit "Je vais vous présenter le
maire". Et elle me présente le maire de l'époque qui me dit "Bienvenue à
bord, je suis heureux de vous employer !". Je dis au gars qui était
toujours là, "C'est quoi ce bordel ! Je vous ai dit que je ne voulais
pas" et il ajoute "Mais non, j'ai quelque chose à vous proposer. Vous
acceptez pour 3 mois et dans 3 mois vous partez et vous trouvez votre
remplaçant. Vous n'êtes pas obligé de venir, vous faîtes ce que vous
voulez". De toutes façons, le truc n'était pas ouvert, c'était juste un
bâtiment en béton. Je me dis finalement pourquoi pas ! Et c'est au bout
de ces 3 mois, en décembre, que j’apprends ce truc d'Universal. Du coup,
j'arrête la musique en me disant que ce n'est pas la peine de continuer.
Et le mec me dit "J'aimerais vous prolonger de 3 mois". Je me dis
qu'après tout, je vais le faire car il fallait que je fasse autre chose.
Et donc je suis devenu, de 3 mois en 3 mois, directeur de ce truc. Ça a
duré 3 ans. C'est moi qui ai trouvé le nom "Canal 93", qui ai monté le
matériel. J'ai estimé qu'il fallait s'investir dans la création. C'est
d'ailleurs ce que je leur ai dit "Il faut créer des choses. Il ne faut
pas être seulement une salle de répétition". On avait un bel outil, on
avait un studio et donc il fallait créer des choses. Il fallait faire se
rencontrer du Jazz et du rap. Ça, à l'époque, ça ne se faisait pas. Et à
un moment il a fallu se lancer dans une création et je tenais
absolument que ça tourne autour de la rencontre entre la musique
française traditionnelle et le rap. Comme j'étais un grand fan de
Gainsbourg qui, pour moi, est un immense artiste, j'ai trouvé que dans
la tradition française le plus adaptable aux deux mondes c'était
Gainsbourg. Et donc on a monté un spectacle dans lequel il y avait du
graph (?), de la danse, du rap mais aussi des rappeurs qu'on faisait
chanter à la Gainsbourg et sur lequel on a beaucoup travaillé. L'idée
c'était pas tellement de faire tourner le spectacle et je ne voulais pas
partir en tournée. Ça
ne m'intéressait pas. C'était le travail qui amenait au spectacle.
Faire travailler des mômes de banlieue. Car il ne s'agissait pas de
prendre des professionnels mais des mômes qui aimaient le rock, le rap
et toutes ces musiques. Juste enregistrer et travailler ensemble.
C'était 2 jours par semaine pendant presque 9 mois. On a monté ce
spectacle qui s'appelait "Ginsburg" et qui n'était que des chansons de
Gainsbourg mais avec des chorégraphies, du painting...
Il y a eu débat là-dessus. Personnellement je ne voulais pas que çà
devienne ça. D'abord parce que ce n'était pas fait pour ça. Après, si on
avait voulu se produire sur une scène parisienne, il fallait adapter
tout le truc et il aurait fallu vraiment travailler avec la famille de
Gainsbourg qui aurait été d'accord ou pas. Nous, on avait travaillé ce
spectacle en autarcie. On était tranquilles. Après on aurait pu dire
"Monsieur, dans la chanson que vous avez arrangé, c'est pas comme ça
qu'on la voit". Pourtant on avait été très respectueux mais c'était une
autre affaire. C'était pas pour ça que ça avait été fait. Il avait été
question de la jouer à Paris, dans une salle une seule fois, dans le
cadre d'une collaboration avec une autre salle de musique.
Malheureusement, ça ne s'est pas fait pour je ne sais plus quelle
raison. Et c'est à ce moment là ou je me suis dit "C'est bon, j'ai fait
directeur de salle de musique pendant 3 ans. Je vais refaire autre
chose. Alors, c'est vrai que lorsque je suis parti, ce projet est un peu
parti avec moi. Les bandes sont restées car il y avait beaucoup
d'enregistrements. La salle a changé de projet aussi. C'est normal. Le
patron d'une salle, globalement, c'est lui qui décide de l'optique,
comment ça tourne, quel artiste se produit. Ce qu'ils ont fait après
était très bien. Les gens qui y ont travaillé sont restés là 10 ans
après moi et on fait que cette salle est devenue très réputée en France.
Malheureusement elle a été sabordée après pour des raisons politiques.
Les groupes qui y passaient me disaient "On est passé dans une salle et
on nous a dit que c'était toi qui l'avait créée". J'étais très fier de
ça. Ce que j'ai fait à Bobigny, j'en suis très fier, ça c'est clair !
Canal 93 a eu un gros impact sur la culture en Seine et Denis ...
Patrick COUTIN . Oui,
car c'était la première fois, j'étais innocent une fois de plus, où on
disait, arrêtons de penser qu'en banlieue il n'y avait qu'une musique,
alors qu'il y avait de la musique antillaise, de la musique arabe, du
rap qui est la musique des jeunes et que ça, ça n'existe que dans son
coin. Non! Tous les musiciens peuvent jouer ensemble. Tu prends un
musicien d'Afrique du sud avec un chinois, tu les laisses 2 ans
ensemble, ils vont bien trouver une façon de faire quelque chose. Après,
on te dit "D'accord mais vous comprenez ça risque de créer des tensions
car les rappeurs qui vont voir des mecs qui aiment le jazz, ils vont
vouloir..."
Dîtes-moi pourquoi ça devrait créer des tensions ? Pourquoi un jazzman
ne pourrait pas jouer avec un rappeur ?. Maintenant tout le monde le
fait mais à l'époque on avait peur de ça. Les groupes parisiens ne
venaient pas jouer en Banlieue. Quand tu leur disais de venir jouer à
Bobigny, ils te répondaient "Ça va pas, on va pas jouer là-bas, c'est
dangereux, ça va tourner en émeute !". Nous, on a jamais eu le moindre
problème. Tout le monde vivait ensemble. Ça répétait. On avait cinq
salles de répétitions. T'en avais une c'était du rock, l'autre du blues,
une autre du Jazz, et aussi de la musique classique. J'ai même fait
venir le conservatoire répéter là-bas. On a fait des spectacles de
musique classique avec le conservatoire. Donc c'était nouveau et c'est
pour ça que je suis très fier de ce qu'on a fait là-bas car il fallait
faire ça à ce moment là. Il fallait déjà désenclaver le rock. Je suis un
rocker et je ne sais jouer que du rock mais tu me fais écouter un opéra
fantastique, je vais rester bouche bée. Je ne suis pas idiot au point
de penser que les autres font de la mauvaise musique sous prétexte que
je ne la connais pas. Je pense que c'est peut-être un des gros défauts
de la France. C'est un pays très cloisonné culturellement. Il y a ceux
qui aiment çi et ceux qui aiment ça. Et ces gens ne se rencontrent pas.
Je suis désolé de dire que dans ma musique, il y a des artistes aussi
extraordinaires qu'il y en a dans le jazz ou la musique classique. Jimi
Hendrix est un génie, on a des chanteuses qui valent largement la
Callas. Amy Winehouse est une chanteuse extraordinaire. Donc le respect
que l'on doit avoir pour les autres formes de musiques et de cultures
est une priorité. Je ne peux pas passer mon temps à tout écouter mais je
sais ce que j'aime. En revanche, ne pas écouter les autres c'est
d'abord se priver de sources d'inspiration et c'est aussi se priver de
sources d'intelligence. Donc je pensais qu'on pouvait faire ça en
banlieue bien que c'était le pire moment pour y aller. Tout le monde me
disait "Mais qu'est-ce que tu vas faire en banlieue, ils vont te tuer".
Donc, d'abord, personne m'a tué et ça a a marché sans problèmes avec des
gens qui travaillaient dans cette structure et qui venaient des
quartiers de Bobigny. J'ai pas fait appel à des copains. Je n'ai jamais
souhaité faire venir des gens de l'extérieur. C'était les gars du
service jeunesse qui sont passés au statut d'animateurs culturels et ils
y sont toujours pour les trois-quarts. Je pense que c'était une façon
d'appliquer mes idées, sur un petit truc certes, mais on a laissé une
petite trace quand même.
Depuis 2012, fini les majors, tes disques sortent sur ton label
Louise Music. Y a-t-il du coup un changement dans ta manière de
travailler ?
Patrick COUTIN . Forcément
le fait d'être libre ça change beaucoup de choses. Tu ne penses plus au
patron qui peut t'engueuler. C'est clair, tu fais ce que tu veux. Tu as
tant de moyens, t'en à peut-être moins mais tu les mets où tu veux. Et
le fait d'être libre, c'est un bonheur extraordinaire. Donc est-ce que
ça a changé ma façon de travailler ? Non ! parce que je n'ai pas de
façon de travailler. Moi ma façon de travailler c'est de regarder les
choses et les laisser se faire. Quand je prend ma guitare je ne sais pas
ce que je vais faire. Quelquefois, il y a une chanson qui sort.
Parfois, elle est bien, parfois elle est nulle. Quand je rencontre un
musicien, je ne sais pas ce que je vais faire. Non, je pense que ce qui a
changé ma façon de travailler c'est que je suis plus adulte et, donc,
je suis peut-être plus précis. Je vais plus vite, c'est clair ! Je sais
comment ça se fait. Je crois profondément que la bonne façon de
travailler, pour un artiste, c'est d'être libre et que c'est l'avenir
dans une certaine mesure. Je crois que l'avenir, ce sont des artistes
libres qui seront relayés par des grosses structures car pour vendre
beaucoup, il faut que ça passe par une grosse structure d'autant
qu'elles possèdent tout. Spotify, Deezer et aussi les programmations TV
et radios. Mais leur intérêt c'est aussi de trouver des gens qui ont du
talent et de les vendre. Donc on est dans cette espèce de monde où
lorsqu'il y a un artiste qui a du talent et qui représente un potentiel
financier, les grosses maisons de disques vont sauter dessus et essayer
de s'en servir. Mais ça toujours été le cas. Et c'est le cas de notre
monde. Je ne sais pas si c'est bien ou mal. Je ne suis pas d'accord avec
tout mais c'est comme ça. Je pense que la meilleure façon, pour ces
gens-là, c'est de récupérer des artistes libres et créatifs. Donc je
crois que le fait de monter sa petite structure, c'est d'ailleurs en
train de devenir à la mode cela dit, je crois que c'est une garantie
d'honnêteté artistique
et donc pour moi, au bout du compte, une garantie
de qualité artistique. C'est mon point de vue.
Parle-nous de ta participation à la tournée Stars 80 ?
Patrick COUTIN . Après
le "Canal 93" j'ai repris ma petite vie et un jour, le maire qui
m'avait engagé, m'a rappelé en me disant "Ce que vous avez fait au
"Canal 93", cette chose qui fait que tous les gens d'origine italienne,
maghrébine, africaine se se soient mélangés au même endroit, je voudrais
que vous le fassiez à l'échelle de la ville. Donc je vais créer une
direction de l'événementiel et je souhaiterais que vous me conceviez des
événements qui fassent que l'on ait toute la ville au même endroit et
au même moment". Je me dis "C'est compliqué ça mais c'est quand même
intéressant". Je lui répond "Mais moi je ne veux pas travailler comme ça
toute l'année!" et il me dit "Ne vous inquiétez pas, vous faites comme
vous voulez. Vous créez un événement, quand vous avez fini vous partez
et vous revenez !". Donc on y va et au bout du compte, je luis dit
d'accord. Et il se trouve que ce monsieur décède 2 mois plus tard. On
avait alors lancé une sorte de Bobigny-plage qui devait, pendant tout
l'été, animer la ville. Donc, on a commencé le 5 juillet et on a fini le
20 août. Il y avait de tout. Des spectacles, des restaurants dans le
parc. On s'est mis à faire ça avec des gens de la ville en changeant
plein d'habitudes de travail, avec des gars qui n'acceptaient pas de
changer leurs horaires de travail mais qui, subitement, étaient d'accord
pour les modifier parce que ça les amusaient. Et j'organise ça avec la
nouvelle maire, Madame Catherine PEYGE pendant 1 an. Arrivent les élections où elle
est réélue et me dit "Je voudrais que vous soyez directeur général
adjoint". Et là c'est autre chose. C'est presque le monde de la fonction
publique. Mais quand même, c'était tellement passionnant ce que j'étais
en train de faire, d'autant que j'avais les moyens de le faire, donc je
continue. Arrivent les élections d'après et la maire se fait virer.
Moi, j'étais devenu un peu le symbole de cette municipalité, communiste
il faut quand même le dire. J'étais artiste, tout le monde me
connaissait, tout le monde savait que j'avais fait des albums et en plus
je ne suis pas du genre à me cacher. Et Donc je suis le premier mec que
la nouvelle municipalité vire. C'est à dire qu'ils ont été élus et j'ai
reçu le message "On ne veut plus le voir et s'il met les pieds dans
cette ville, on lui casse les jambes". Voilà, clair et net ! Donc j'ai
encaissé. C'était pas très drôle De toutes façons, je n'avais plus de
travail et j'ai arrêté ce truc là. J'avais passé 5 ans en dehors du
monde de la musique et ça avait changé. On était passé à l'époque
numérique. J'avais quitté ce monde 5 ans plus tôt au moment où c'était
l'époque du piratage, donc ça partait dans tous les sens. Les maisons de
disques faisaient faillite, vendaient leur catalogue. J'avais passé 5
ans à faire quelque chose entre le culturel et le social et je me
retrouve à faire de la musique, bien que je n'avais pas arrêté de jouer,
j'étais toujours en train de composer des chansons. Tous les matins je
me levais à 5h et j'y allais. Mais lorsque je me suis dit "Tiens, je
vais peut-être faire un disque, subitement tu réalises que c'est plus du
tout le même monde. Il n'y a plus de maisons de disques. Et là on m'a
appelé pour me dire "Il y a un spectacle qui s'appelle "Star 80", est-ce
que tu veux y participer ?". J'ai donc regardé ce spectacle qui était
fait sur bandes play-back, c'est à dire que les artistes chantaient sur
des bandes. Moi, je ne sais pas faire ça et j'ai dis non, ça ne
m'intéresse pas. Puis, un jour, un mec qui s'appelle Jean-Pierre
Morgand, chanteur du groupe "Les Avions", et qui est un pote, un type
que j'adore, un chanteur courageux et qui va au casse-pipe, m'appelle et
me dit "Ecoutes, le patron de la "Star 80" Claude Cyndecki me parle souvent de
toi". Je lui dit "Mais moi je ne veux pas faire ça et je lui ai déjà dit
non car il n'y a pas de musiciens". Il insiste et me dit "Tu devrais
quand même le rencontrer ". Je me dis " bon, Jean-Pierre est un ami, je
vais lui faire plaisir". Et j'accepte de rencontrer Claude Cyndecki. Donc j'y vais
d'autant que je n'avais rien à faire. Et je rencontre ce monsieur que je
trouve très cool et qui me dit "Vous savez, moi dans mon spectacle, je
veux avoir toutes les années 80 et vous, vous êtes le rock, donc
j'aimerais bien avoir le rock !". Je lui répond "Mais moi je ne peux pas
chanter sur bandes". Et là il me dit "Mais peut-être qu'on va avoir des
vrais musiciens. Est-ce que ça vous intéresserait ?". Je me dis
qu'avant qu'il mette des musiciens, je suis tranquille et lui dit "On en
reparlera". Et en même temps, comme j'avais été viré comme un malpropre,
cela faisait déjà 6 mois, je commençais à avoir de vrais problèmes
financiers car la ville qui m'avait viré ne voulait pas m'indemniser. Je
rentrais dans un procès avec eux, ce qui coûte cher. J'avais besoin
d'argent pour tout dire et je cherchais un boulot. Il fallait que je
travaille car j'avais quand même mes enfants. Ma dernière fille avait 10
ans et il fallait que je la nourrisse. Et
15 jours après, Claude Cyndecki me rappelle et me dit "C'est bon, on part avec des
musiciens, rendez-vous dans 15 jours !". C'était à Amiens. Je me dis
"Mon pauvre ami, dans quoi t'es rentré !". 15 jours plus tard, je prend
ma voiture et je vais à Amiens. Une fois arrivé je ne sors même pas mes
valises. Je laisse tout à l'intérieur de la voiture et je vais
directement à ma chambre d'hôtel. Ça faisait marrer tout le monde. Et je
me rend aux répétitions. Ça été très rapide. Juste une journée. Mais
bon, dans les années 80, il y avait quand même de bonnes chansons. Il
faut quand même le dire. C'est pas ma musique, c'est pas tout à fait
mon monde. Il y avait toutefois une ou deux personnes que je
connaissais. Par exemple Julie car elle avait travaillé avec Vincent-Marie Bouvot qui est
un ami. D'autres que j'avais croisés car dans les années 80 on faisait
les mêmes émissions de télé. Et puis j'étais libre. J'étais celui qui
avait le droit de chanter sans playback. Je faisais "J'aime regarder les
filles" et je devais faire un autre titre. On m'avait demandé de
choisir. J'avais décidé de faire un morceau de Bashung. Au début c'était
"Vertige de l'amour". Après c'est devenu "Osez Joséphine". Et puis
j'avais demandé une somme d'argent assez importante et on me l'a donnée.
Donc ça m'a sauvé la vie. J'avais 60 ans et pas beaucoup de travail qui
se proposait à moi. Et donc, j'y ai passé 3 ans. J'ai fait beaucoup de
concerts. J'ai dû en faire plus d'une centaine. Peut-être même entre 100
et 200. Alors, il y avait aussi ce coté qui était que, dans mon monde à
moi, on avait jamais fait de Zénith ou d'endroits de ce genre. C'est
la première fois que je me trimballait sur des scènes avec des sons et
des lumières de cette importance. Bien que tout ceci ai beaucoup changé
depuis les années 80. Donc la première année c'est plutôt intéressant.
La 2e année, tu commences à en avoir un peu marre d'entendre les mêmes
chansons tous les soirs. Tu entends le même répertoire à chaque concert
et forcément ce ne sont que des trucs que tu connait. Mais c'est ton
job! En même temps, ça me laissait du temps, à la maison, pour
travailler. J'ai donc pu concevoir le triptyque "Coutin
Paradise" et avoir le temps de travailler tranquillement. Ça donne
beaucoup de moyens car j'étais bien payé. Et quand j'ai décidé
d'arrêter, la Covid est arrivée et ça s'est arrêté. J'en avais marre
mais sans cracher sur le truc. En Amérique, ça poserait pas de questions
ce genre de truc. C'est une revue avec les tubes des années 80 et 90.
Ce sont des grandes chansons. Elles sont plutôt bien faites. Après, j'ai
des amis rock'n'roll qui me disaient "Mais ça, c'est pas rock'n'roll
!". Pourtant ce sont des années qui ont existé. On est pas obligé de
tout balayer en permanence. Donc je suis bien content car, dans une
certaine mesure, ça m'a appris des choses. Notamment à travailler de
façon moderne sur des scènes qui sont immenses avec des gens qui sont,
comme dans toute société humaine. Sur les 25 artistes il y avait 10
mecs supers, 10 mecs ou 10 filles dont tu sais pas trop, 5 ou 6 que tu
n'aimaient pas. Mais c'est pas grave. C'était bonjour, bonsoir et tu
n'étais pas obligé de t'asseoir à côté d'elles dans le bus car c'était
beaucoup de kilomètres parcourus. Tu faisais la France entière dans tous
les sens. Voilà, je pense que c'était quelque chose qui m'a rendu
service et qui m'a ouvert des horizons sur le fond. C'était marrant
d'ailleurs car tu avais souvent des couples et on imagine le public
comme des gens qui ont maintenant 70 ans. C'est pas vrai. Tu as autant
de gamins de 16 ans, de filles comme j'ai pu en rencontrer qui étaient
en Fac de droit ou de lettres et qui venaient parfois avec leurs parents
ou leurs grands-parents. Parce que c'est transgénérationnel. Donc c'est
vachement bien tout ça. Il faut être un peu buté pour démolir ça. Après
on peut ne pas aimer ce genre de musique mais ça, c'est un autre
problème. J'ai plein d'amis rockers qui sont venus et qui m'ont dit
"C'est un sacré spectacle !". J'ai une cousine qui a 25 ans et qui est
professeur de philo. Elle a 25 ans. Et bien ça reste, pour elle, le plus
beau spectacle de sa vie alors qu'elle n'écoute que du rap et de la
techno. Donc ce n'était pas une escroquerie. Il y avait vraiment des
moyens qui étaient mis en jeu et le public s'amusait comme des fous. Et
ce qui était marrant dans le public c'est que tu avais souvent la femme
qui aimait Cookie Dingler et le mec qui aimait Coutin. Pour moi, c'était
une revue qui parlait d'une période qui avait beaucoup d'importance
pour les gens car les années 80 c'était le début d'une certaine liberté
en France, le début des radios FM, le monde de la nuit qui était très
ouvert à cette époque. Tout le monde allait un peu dans les clubs pour
danser. Ça n'a pas été la meilleure époque de ma vie en tant qu'artiste
car c'est là où j'ai eu des problèmes et où je me suis retrouvé au
tribunal mais c'était une époque
qui était marrante à vivre. On s'est beaucoup amusés et on a fait les
cons. Si j'avais fait 3 ou 4 chansons dont 2 nouvelles ça m'aurait
convenu mais c'était pas possible. C'était pas fait pour ça. Ce qui me
manque, c'est le public fantastique qui ne venait que pour le plaisir.
C'était vraiment un moment de convivialité à 5000. C'est pas souvent.
Le tryptique "Coutin Paradise" est un projet à la fois musical et graphique : comment est née cette idée, avais-tu prévu cette association son / image quand tu as fait ces 3 albums ?
Patrick COUTIN Non!
Au début j'étais en train de faire un album de rock et puis finalement,
après mes deux jours passés à Amiens je me dis est-ce que je reste ou
pas...car j'aimais bien l'encadrement. Moi, je deviens très vite copain
avec les techniciens. C'est mon monde à moi. Plus que celui des artistes
pour être honnête. C'est pas que je n'aime pas les artistes mais c'est
que je me sens plus proche du mec qui s'occupe de ma guitare. Je trouve
que les mecs sont bien. Ils me ressemblent. Et je me dis que j'ai, là,
un bout de ma famille. Pour moi c'est important. Et donc mon album de
rock avec mon groupe, car j'avais déjà un groupe avec lequel on faisait
quelques concerts, c'était compliqué. La France n'est pas si rock que
ça, il faut quand même le dire. Il y a des fans de rock en France mais
comme on est 60 millions d'habitants, c'est pas comme si tu étais
américain. Si j'étais en Amérique, je ferais 50 concerts par an. En
France quand j'en fais 20, c'est un miracle. Et en même temps,
j'écoutais toute cette musique qui est très diverse parce que la musique
française, et c'est pas péjoratif, c'est de la variété. Pourquoi? Parce
qu'on a des influences italiennes, slaves, anglaises... et je me dis,
tiens je vais essayer de m'amuser à refaire un disque comme dans les
années 80, c'est à dire avec des synthés et des boîtes à rythmes. Parce
que dans les années 80 on a beaucoup travaillé avec ça. Donc, j'ai
commencé à bosser là-dessus. Moi, j'ai un studio, littéralement, chez
moi. J'ai 40 guitares et une station ProTool. Donc je me suis lancé
la-dedans et j'ai commencé à composer. Et au bout d'un moment mon album
en anglais est revenu et j'ai commencé à chanter en anglais. Donc je me
retrouvais avec des chansons un peu technoisante pour parler de chansons
faites avec des machines et des chansons un peu folk/rock chantées en
anglais. Je me suis dit "Faire cet album, ça va être bizarre". Et au
même moment, où je me suis dit "Qu'est-ce que je vais faire ?", j'ai
décidé d'en faire deux finalement. Et là, décès de Johnny Hallyday.
Johnny que, pour être honnête, je n'écoutais plus depuis 30 ans même si
je le connaissais. Tu réfléchis à ça parce que c'est quand même un choc
pour la France. Et un jour, je m'amuse à chanter cette chanson qui
s'appelle "La musique que j'aime" parce que c'est ma musique, c'est du
blues juste pour voir comment il chantait. Car quand tu entends un mec
chanter, tu ne sais pas comment il chante en fait. Tu l'aimes ou tu
l'aimes pas. Mais tu t'aperçois quand même que Johnny c'était un
chanteur qui avait une capacité à passer du grave à l'aigu avec une
tessiture assez remarquable. Donc je me prend au jeu et je fais ça. Un
jour j’entends Bijou qui chante "La fille du Père Noël". Je me dis "Je
connais ça, c'est cool". Et donc, au bout d'un moment, j'avais du temps
de libre, je me réveillais à 5h du matin, je travaillais jusqu'à midi.
Je faisais ce que je voulais et un jour je me suis retrouvé avec 50
chansons qui étaient presque enregistrées, pas toutes finies mais quand
même bien réalisées car je travaille bien. Je pouvais enregistrer une
idée sur mon téléphone mais je travaillais sur un ProTool comme un
vrai pro. Et en parlant un jour avec un ami, il me dit "De toutes
façons, aujourd'hui, ça coûte rien. T'es pas obligé de faire des
disques, tu les mets sur internet, ça suffit. Donc termines ton album.
Fais-en un, deux ou trois". Donc je me suis mis à compresser mon truc
pour faire trois albums. Un album en français, un album en anglais et un
album de reprises en anglais et en français. Et à cette époque, je suis
assez copain avec des gens à Sète et je suis ami avec un artiste qui
s'appelle Hervé Di Rosa. Et Hervé Di Rosa me dit un jour "Alors, quand est-ce que je fais
une pochette d'album pour toi ?". Car juste avant j'avais fait un album
dont la pochette était signée Tanino Liberatore. Et il rajoute "Quand tu fais un
album, tu demandes à un autre de faire la pochette. Et moi je suis un
chien !?". On se connaît bien pourtant depuis presque 20 ans et là je
reconnais "Il a raison". En même temps ça reste dans ma tête. Et là en
regardant mes 3 albums, je m'aperçois que ça part des années 70 même 60,
que ça traverse un peu les années 80 avec cette façon de composer en
français où il y avait encore des synthés même si finalement il y a
beaucoup de guitares mais avec quand même ces bases rythmiques très
carrées, très simples et ça finit dans les années 2020. Et en parlant
avec le manager de Hervé Di Rosa je lui dit "Je vais sortir 3 albums. Ce serait
bien que Di Rosa me réalise une pochette puisqu'il le souhaitait. Il me
répond "Mais c'est quoi ton problème ?". Je lui explique et il me dit
"On va pas faire ça, on va faire 3 vinyles dans une boîte et on va faire
appel à trois peintres qui vont créer des œuvres originales". Et quand
on est parti là dedans, je suis revenu vers Tanino Liberatore parce que c'est un ami
et un artiste que j'adore. Hervé Di Rosa a fait le sien. Et en discutant, on
s'est rendu compte que cette influence San Francisco/américaine
En 2020 sort "Obsolètes paradise", comment s'est passé le choix de ces reprises ?
Patrick COUTIN. D'abord
il faut savoir qu'avant de chanter "Osez Joséphine" dans la "Star 80",
je n'avais jamais fait de reprises. Je suis le typique
auteur-compositeur. Je ne sais jouer de la guitare que sur mes morceaux.
J'ai toujours fais que mes compositions, je les chantent et je joue de
la guitare en même temps jusqu'au moment où ça ressemble à ça. Ceci dit,
j'avais vaguement appris "Knockin' on Heaven's Door" de Dylan. Je ne
sais plus vraiment à quelle occasion. Je crois que c'était pour un
copain qui tournait un film. Mais c'était facile. C'était juste 3
accords, certainement la chanson la plus facile du monde à apprendre.
Mais à chaque fois que j'essayais d'apprendre une chanson, je me disais
"C'est compliqué" car ça ne sort pas de toi. Il faut apprendre les
accords et la mélodie. Et la mélodie, surtout en français, il y a rien
de plus personnel. Par exemple, la façon dont chante Bashung, personne
ne peut le faire comme lui. Quand tu écris des mélodies pour des
chanteurs, lorsqu'ils te chantent la chanson que tu as écris pour eux,
ce n'est jamais la mélodie créée au départ. Elle ressemble mais ils y
mettent leur truc. Et moi, je suis comme les autres. Quand on me donne
une chanson, j'ai l'impression de chanter la chanson qu'a écrit untel
mais en fait elle est transformée. Et donc je n'ai jamais réussi à le
faire. Un jour, j'ai essayé avec "La musique que j'aime" de Johnny.
C'était difficile à faire. Bien que j'aime me lancer dans des
challenges. Ça te donne du travail. Et en même temps on avait commencé,
longtemps avant, une reprise des Doors "Light my Fire" que je voulais
faire en techno et pour laquelle on avait failli obtenir la
participation de Gainsbourg. On voulait mettre 2 ou 3 autres chansons,
et comme Gainsbourg avait ce côté un peu pop, on avait repris ce "Light
my Fire" avec une rythmique très techno. Et donc, j'avais d'un côté mon
envie de reprendre "La musique que j'aime", en même temps, je ne faisais
pas le malin car c'est pas facile de reprendre du Johnny, et cet autre
titre. Je suis parti dans l'idée de me dire "Quelles sont, finalement,
les chansons qui m'ont marqué sans que je le saches ou pas ?". Car si
j'ai repris du Johnny c'est parce que, même si je ne suis plus fan à mon
âge, je l'avais été quand j'étais gamin. Et il y a des choses qui se
sont imposées. Par exemple "Like a Rolling Stone" de Dylan, "La fille du
Père-Noël" de Dutronc, reprise par Bijou qui était un groupe français
que j'ai vraiment beaucoup aimé. Puis d'autres comme ça. Et un jour ma
fille me dit "Papa, il faut que je chante "Summertime" à l'école. Est-ce
que tu pourrais me l'apprendre ?". Je lui ai répondu "Mais je ne sais
pas comment on fait "Summertime !". Donc, j'ai regardé et j'ai fait une
version pour ma fille. Je lui ai dit "Tiens, j'en ai une !". Et en fait,
c'est arrivé comme ça. Alors j'en ai fait plusieurs, peut-être une
quinzaine. Certaines n'étaient vraiment pas bien, d'autres qui, pour
moi, étaient acceptables. Un peu comme un mec qui prend sa guitare et
qui les chantent à ses amis. Il n'y a pas beaucoup d'ambition là-dedans,
surtout pas l'ambition d'être meilleur que les originaux. Mais
finalement il y a "Osez Joséphine" qui est arrivé puisque je la
connaissais. C'est d'ailleurs un truc de fumiste tout ça. C'est à dire
que ce ne sont pas des chansons trop compliquées. Pour la plupart, j'en
connaissais les paroles Parce que je les avais beaucoup entendues et ça
s'est fabriqué un peu comme ça. Comme un puzzle où tu es là sur la table
en te disant, ça pourrait rentrer là. C'était ma façon de dire aux gens,
voilà ce que j'aime aussi. De dire aux gens que dans la musique, pour
moi, ça part des Doors et de mon enfance avec Johnny, ça traverse
Dutronc, Bashung mais ça passe aussi par Dylan, Gershwin, et le blues.
C'était une façon de dire, voilà où sont mes influences. Toutes n'y sont
pas mais beaucoup y figurent. Et principalement des chansons qui m'ont
marqué. En tout cas des chansons dont je me souvenais. Il y en a
d'autres qui m'ont marqué. Quand on voit passer "La fille du Père-Noël",
on est à la période de Noël, tu te dis "Ah, c'est bien joué !". Et dans
la version de Bijou, il y a beaucoup d'humour et ça te donne envie de
la jouer. J'ai essayer de voir si je pouvais la jouer. J'ai réussi et je
l'ai prise. Il y en a d'autres que j'ai tenté. Je n'y suis pas parvenu,
je les ai pas prises. Car il y a des trucs qui sont très compliqués à
faire. Il y a des chansons dont on ne se rend pas compte, qui sont
tellement personnelles. Par exemple tu ne reprends pas du Brel ou du
Brassens comme ça. Et pourtant ça fait partie de ma culture. Mais tu ne
reprends pas "Ces gens-là" à la guitare acoustique, bien qu'il y en a
qui le font. Tu ne reprends pas "C'est extra" de Léo Ferré si
facilement, pourtant reprise par un grand groupe qui s'appelait Zoo, qui
est un chanteur à la personnalité débordante alors que moi, je suis un
mec plutôt timide. Non, tu ne peux pas tout faire. C'est pas parce que tu chantes que tu peux tout faire.
Et tu sors "Fuck the Covid Blues" comment as tu vécu cette période ?
Patrick COUTIN . J'ai
pas bien vécu la Covid. Au début, ça allait à peu près parce que je
suis parti dans les Deux-Sèvres. J'étais isolé. Ma fille était avec moi
car on ne savait pas ce qu'il allait se passer. On est partis pour 15
jours et ça a duré 4 mois. On est passé de l'hiver au printemps. Et
quand tu vois apparaître les petites fleurs dans le jardin, ça va un peu
mieux. Mais quand même j'ai trouvé ça dur. Tu allais faire tes courses
et subitement il était 18h45 et il fallait rentrer comme un fou. Et puis
il y a des gens qui mourraient, on a tendance à l'oublier. J'ai plein
d'amis qui sont tombés malades, certains gravement, et qui le sont
toujours. Des gens qui perdaient leurs parents. C'était une période très
difficile et il faut se souvenir combien ce fût une horreur. En plus
c'était une période que tu n'arrivais pas à palper. C'est pas comme si
on t'avais dit, qu'il y avait un nuage radio actif au dessus de Paris,
que tu devais descendre dans ta cave, mettre une casquette en plomb et
que trois mois après que le nuage soit passé, tu pouvais sortir. Là on
ne savait pas comment ça allait tourner. Ça pouvait s'amplifier et tuer
tout le monde, ça pouvait s'attaquer aux enfants. Donc je n'ai pas aimé
ça. Je n'ai pas aimé le fait d'être enfermé. Et puis cette espèce de
folie de communication où tout le monde disait n'importe quoi. Sur une
chaîne, tu avais un médecin qui te disait que ce n'était rien, sur une
autre tu avais un médecin qui te disait qu'on allait tous mourir. Après
tu as tous ceux qui te disaient d'aller se faire vacciner et ceux qui te
disaient le contraire, d'autres dans 15 jours on est libres, et puis
non dans 15 jours on est pas libres. Les bars vont rester fermés. Bref,
tu ne savais plus. Donc pour moi, c'était de pire en pire. Il était
temps que ça finisse car je ne sais pas si j'aurais survécu. Je n'en
pouvais plus. "Fuck the Covid Blues" c'est une chanson que j'ai écrit
quand j'étais à la campagne. Ça m'est sorti comme ça car j'ai vu une
jeune femme qui travaillait dans un supermarché. Plus personne ne
travaillait à l'époque sauf cette jeune femme qui assurait la survie de
tout le monde. Elle devait avoir 25 ans et elle avait un bracelet avec,
visiblement, le nom de son mec. Un bracelet comme le mien. C'est pour ça
que je l'avais regardé et j'avais vu qu'il y avait un nom d'homme
dessus. Je me suis dit que si cette femme ne rentrait pas chez elle,
elle ne verrait pas son mec avant un bon bout de temps. Donc, en fait,
ça raconte ça. J'ai inversé le propos puisque je suis un homme. J'ai
raconté l'histoire d'un homme qui dit "ben moi, comme je vais me battre
contre la Covid, soit parce que je suis infirmier soit parce que je
travaille dans un organisme de première nécessité, je ne vais pas
pouvoir prendre ma voiture et venir te voir ce soir". C'est ça que je
trouvais horrible. De priver des jeunes gens de la vie car ça leur a ôté
deux ans de vie. Ma fille ne voyait plus ses copains puisqu'elle était
enfermée avec moi et donc j'ai mal vécu ça. "Fuck the Covid Blues " est
arrivé comme une évidence. Ça été fait à la campagne avec mon téléphone.
Il fallait bien faire quelque chose. Mais c'est aussi à la fin de la
Covid que j'ai créé le nouvel album entre septembre et novembre 2021 que
je n'ai pas réussi, d'abord, à enregistrer à Paris parce que ça ne
marchait pas et que je n'arrivais pas à trouver les musiciens pour le
jouer. Ceci dit, il y a eu quand même des cotés positifs. Mais je trouve
que c'était une expérience collective très dure. Et franchement, on a
tendance à oublier tous ce gens qui sont morts parce qu'ils avaient
respiré l'air qui n'était pas le bon.
Donc tu as créé ton nouvel album à la fin du COVID ?
Patrick COUTIN . Oui
et on commençait à se dire qu'on allait peut-être s'en sortir. J'avais
quand même fini d'écrire le livre sur Jim Morrisson qui venait de sortir
mais sur lequel, malheureusement, on a pas fait suffisamment de promo
puisque l'on ne pouvait pas se déplacer. Lorsqu'il est sorti j'étais
enfermé à la campagne. C'était moins pire que d'être enfermé à Paris.
Donc, on a fait quelques présentations. Tu ne pouvais plus faire de
radios l'après-midi bien que c'était possible mais il fallait partir, il
fallait prendre le train, il fallait prendre deux places séparées. Au
début on avait pas de masques ni rien du tout. Donc on ne pouvait pas
sortir de chez soi sans prendre de risques et, en même temps, on ne
jouait plus. En 2 ans, on a annulé 30 concerts. Je me disais que dans ce
monde il y avait un côté foutaise dans ce que l'on faisait. Un côté
artificiel. Et dans la musique telle qu'on la fait aujourd'hui, elle
manque de spontanéité, elle est de plus en plus fabriquée. C'est bientôt
la machine qui va faire la chanson à ta place. Et j'avais vraiment
envie de revenir en studio. Tu prends ta guitare, t'as un micro, tu
chantes, un batteur, un bassiste. Si c'est bien tu le gardes, si c'est
pas bien t'effaces et tu recommences. Donc, j'étais comme ça. Mais en
France on ne produit plus comme ça. C'est fini ! Les jeunes groupes de
rock, peut-être mais tout le monde te dit "Envoie moi le truc, je vais
une basse dessus et puis après je vais l'envoyer au batteur qui va me
faire une batterie puis tu reviens et tu sens bien que ça n'a pas été
fait ensemble. Je dis pas que c'est mauvais mais c'est pas ce que je
voulais faire. Tu ne chantes pas de la même façon quand tu as
basse/batterie et quand tu chantes tout seul devant un micro et que tu
entends basse/batterie. Donc, j'en étais là. J'avais écrit une quinzaine
de chansons que je voulais enregistrer simplement et je n'y arrivais
pas. On a fait des essais mais je ne trouvais ça pas bien. Et, une nuit
d'insomnie, car Dieu sait si les nuits étaient longues. Les jours
étaient longs mais les nuits aussi, Je me suis mis à traîner sur
internet et j'ai pensé "Mais qu'est-ce qu'ils deviennent à Austin ?".
Ça faisait 15 ans que je n'avais pas été là-bas. Et j'ai retrouvé des
gens. Certains n'étaient plus de ce monde, d'autres avaient quitté
Austin et j'ai retrouvé David Grissom qui était un guitariste fantastique avec
lequel j'adorais travailler quand j'étais à Austin j'avais une espèce
d'osmose avec lui. Ce mec jouait ce que j'avais envie d'entendre. Tu
peux pas trouver mieux. Un musicien qui joue exactement comme tu
aimerais jouer toi-même. J'avais perdu les numéros de téléphone mais je
trouve son Facebook et je fais "Bonjour David, c'est Patrick Coutin ! Je
vois que tu es toujours à Austin, comment ça va !?". Et il me répond
"Hey Patrick, je suis content d'avoir de tes nouvelles, tu avais
disparu, on te voyait plus qu'est-ce que tu deviens !?". Je lui dit
"Voilà, je suis comme toi, je suis enfermé à Paris". Je me souviens on
était le 24 mars. Il me demande ce que je fais et je lui répond que je
continue comme avant et il me dit "Tu devrais venir faire un album à
Austin". Et là je me dis "Ah oui c'est une bonne idée". Puis je
réfléchis et le lendemain je me fais cette réflexion "Mais il a raison,
cette musique que j'ai écrit elle est faite pour être jouée à Austin !".
Donc je lui renvoie un message en lui disant "Oui, c'est pas une
mauvaise idée de faire un album là-bas. Tu sais quand est-ce que je peux
trouver 15 jours de studio et où ?". Moi, j'avais envie de repartir
chez Willie Nelson mais, apparemment, il n'accepte plus personne dans
son studio c'est devenu un vieux monsieur qui doit avoir 85 ans et il
vit littéralement dans son studio. Et David me dit "Chez Willie ça va
être compliqué. Plus personne n'y va. Il a une santé fragile. Mais je
vais trouver un studio. Est-ce que tu pourrais me montrer ce que tu veux
enregistrer ?". Et comme je voulais enregistrer simple, j'avais fait
des démos. Un clic, ma guitare et ma voix. Je les avais enregistrées
jusqu'au moment où j'avais la bonne version. Réalisées sur mon téléphone
pour une moitié, l'autre sur mon ProTool mais jouées de la même
façon. Donc je lui envoie mes quinze chansons et il me dit "Ah, il y a
des trucs sympas". Et il rajoute "J'ai 15 jours de studio en décembre"
on était le 22 mars. Je lui dit "Non David !". Moi, je pense "En
décembre on sera tous morts !". Je ne me voyais pas tenir jusqu'à
décembre. Je me sentais mal, je marchais plus, je ne faisais plus rien
et là il me dit "Ça va être compliqué parce qu'à Austin beaucoup de gens
travaillent, c'est vraiment devenu la ville de la musique aux USA. Et,
deux jours plus tard, il me rappelle et me dit "Je pense que ça ne va
pas te convenir mais je te le dis quand même. J'ai 2-3 jours dans un
studio qui est génial, qui est tenu par l'ancien manager des Rolling
Stones et j'ai le meilleur batteur et le meilleur bassiste d'Austin avec
moi si tu veux".
Je
lui dis "3 jours, on va pas y arriver, c'est trop court". Il me répond
"Mais non, tes chansons on peut les jouer en 3 jours et je crois qu'il
faut produire ça simplement. Après tu pourras mettre, en France, des
claviers, des chœurs et des choses comme ça. Mais pour faire
basse/batterie/ guitare, puisque c'est ce que tu veux, ça on peut
faire". Je me dis qu'il a raison. Je regarde et je trouve un
aller/retour. Je me dis que je vais quand même prendre deux semaines
parce qu'en 3 jours on va rien faire. Le 7 mars, je suis arrivé à
Austin, le 9 on est entré en studio et on a fait que 10 titres sur les
quinze prévus. De toutes façons il y avait pas besoin de les faire tous.
En deux jours on les avait enregistrés basse/batterie et les deux
guitares, celle de David Grissom et la mienne. Le 3e jour j'ai tout chanté deux
fois. À trois heures de l'après-midi on a fait les mises à plat. J'ai
pris mon téléphone dans lequel je les avais enregistrées et je suis allé
me promener pendant 10 jours en Amérique en choisissant entre les
versions car parfois il y en avait deux de chaque titre. Donc j'ai fait
ça pendant une dizaine de jours. Je suis rentré en France et on a mixé.
Puis la question s'est posée. "Est-ce qu'on rajoute des claviers, des
chœurs ?". Je voulais également mettre de l'harmonica et au final je me
suis dit "Non, finalement, on rajoute rien. On fait comme si ça sortait
du studio". Comme j'avais deux voix sur chaque titre, j'ai simplement
choisi la meilleure. On a gardé le son le plus brut possible. Parfois
même, lorsque je réécoute les démos je ne fais pas la différence avec
les versions définitives. Voilà comment on a fait cet album.
Parle nous du livre sur les Doors ?
Patrick COUTIN . Un jour Stan Cuesta m'appelle et me dit "Est-ce que je pourrais déjeuner avec toi ?". Je lui répond "Bien sûr, avec grand plaisir !". Et il me dit "Voilà, je suis directeur d'une collection chez Gallimard et on sort deux livres par an. J'ai deux projets, l'un sur Janis Joplin et l'autre sur Jim Morrison et je voudrais que tu en écrives un". Je me dis, il va me demander d'écrire sur Janis Joplin, le mec qui aime les filles va écrire sur Elle. Je lui dit "Tu sais je n'ai pas écrit depuis longtemps". Car écrire une chanson c'est une chose, écrire un livre c'est autre chose. et je rajoute "Et puis tu sais, Janis Joplin c'est compliqué. C'est une fille qui a une vie controversée. Il me répond "Mais je ne veux pas que tu écrives sur Janis, je veux que tu écrives sur Jim Morrison". "Ah, bon mais pourquoi sur Jim Morrison ?" lui dis-je. Et il me répond "Parce qu'il y a chez toi des choses qui me font penser à lui, pas en temps que personnage mais dans la musique". C'est vrai que c'est un groupe que j'ai écouté comme j'écoutais Led Zeppelin, Jethro Tull ou les Stones. Et je lui dit "Je vais réfléchir". Et ça a pris du temps, la réflexion, presque 6 mois. Il m'envoie des bouquins, les poésies de Jim que je connaissais un peu mais dont je ne possédait pas les recueils et il m'explique comment doit être fait le livre, c'est à dire qu'il doit comporter 7 chapitres. 7 jours qui ont compté dans la vie d'un artiste. Je recommence à m'intéresser à Jim Morrison et je m'aperçois qu'en fait, bien que c'était une star et que c'était un des plus grands artistes de rock'n'roll, il a une mauvaise réputation. Comme si c'était un bellâtre qui n'avait fait que des chansons de cul quelque part. Et je commence à penser que c'est injuste la façon dont on traite ce mec qui, probablement, reste le groupe qui vend encore le plus d'albums 40 ans après. Ça reste un groupe mondialement connu pour des gens qui n'en font plus. Les groupes de l'époque, en dehors des Beatles, ont tous disparu. Et donc, au bout d'un moment je me suis pris d'affection pour ce projet sur Jim Morrison et je me suis dit "J'essaie". J'ai rappelé Stan et je lui ai dit "Ecoutes, on essaie d'écrire un chapitre. Tu me dis par lequel tu veux commencer et on verra si ça a de l'intérêt. Et tu le proposes à ta maison d'éditions. Il me dit "Tu vas commencer par écrire le chapitre où je veux, comme pour tous les livres, qu'il commence par celui où l'auteur parle de lui-même. Un chapitre de toi et des Doors. Le premier en fait, l'intro". Donc, j'écris une histoire des Doors, vraie d'ailleurs, qui s'était passé à Palma de Majorque. Il revient et me dit "Ah les gens aiment bien donc il faut y aller ". Et j'y vais. J'avais beaucoup de mal pour l'écrire. Pour tout dire, c'est compliqué l'écriture et le début de la Covid m'a bien aidé car j'ai fini ce livre. La période la pire c'est quand tu relis. Chez Gallimard, ce sont des fous furieux. Tu relis 20 fois ton truc. Chaque fois que tu as relu, la fille te dit "Bon maintenant j'ai fini. Vous avez relu 5 fois avec moi, maintenant vous allez relire avec le correcteur. "Et nous qu'est-ce qu'on fait depuis une semaine !?". Moi, je vérifiais les dates mais lui, c'est un correcteur genre journal officiel. Chez Gallimard, il y a zéro faute dans un livre. Il relit deux fois et tu recommences. Et il te dit, ça c'est pas français. Votre phrase monsieur, c'est pas possible. Il faut écrire comme ça. Alors tu ne peux pas dire non car c'est comme ça. Donc çà été fini vers le mois de mai. Ça m'a bien occupé. D'ailleurs c'est une période créative car j'ai fait "Fuck the Covid Blues" et c'est sorti en octobre, donc durant le 2e Covid. C'est là que ça été une catastrophe car on avait plein de radios, de TV et tout a été annulé. C'est un livre que j'ai finalement écris. Je dirais pour essayer de remettre l'artiste en avant. Pour dire, vous ne vous rendez pas compte, c'est un grand écrivain, déjà, un grand poète. Probablement l'un des grands poètes américains du siècle et c'est aussi un chanteur faramineux. Quand tu sais qu'à l'époque, dans les concerts, rien n'était corrigé. Il était bourré, drogué, il tenait à peine debout, il chantait encore juste cet enfoiré. Et parmi les plaisirs que j'ai eu à la suite de ce livre c'est que, alors que je ne savais pas que c'était le 50e anniversaire de sa mort, beaucoup de gens ont commencé à reparler de Jim Morrison comme un grand artiste et je suis content d'avoir participé à ça. Je trouve que si j'ai fait quelque chose de bien dans ma vie c'est de dire aux gens, ne le prenez pas pour un sex-symbol qui est mort drogué et probablement malade. Mais avant toute chose pour un grand artiste. Et on a des choses à apprendre encore de lui car c'était un des premiers à parler d'écologie. Le premier, alors que son père était amiral dans l'armée américaine, à s'engager violemment en chansons contre la guerre au Vietnam. C'était aussi quelqu'un qui avait participé à l'explosion de la liberté sexuelle des années 70
Qui,
pour moi, restera quelque chose d'important. C'est le début du moment
où les femmes prenaient le pouvoir. Parce qu'avant tu te faisait une
fille pour coucher. Et c'est avec le mouvement hippie que les femmes ont
décidé avec qui elles couchaient. Je trouve ça vachement bien. Les
Doors ont participé à ça avec un dialogue du genre "Ah, tu es jolie. On
ferait bien connaissance !?". "Oui, moi aussi" aurait-elle dit. Même si
la fille te répond "Non pas du tout!". Tu réponds "Désolé" et tu passes
ton chemin. Jim Morrison est un mec avec lequel aucune fille à pu dire,
ce mec m'a violée ". Je trouve que tout ça méritait d'être dit. Dire
qu'il peut y avoir liberté sexuelle sans avoir oppression sexuelle et
avec de l'amour en plus. Qu'il peut y avoir un chanteur de rock qui soit
un grand poète. Alors, on va te dire c'est pas du Rimbaud mais bien sûr
c'est un poète américain. J'entends toujours ça "Oui mais nous, on a
Rimbaud et Baudelaire" mais la langue américaine ne te permet pas
d'écrire du Baudelaire mais d'écrire autre chose.
Si tu devais te définir, quelle serait ta phrase ou devise ?
Patrick COUTIN . Être libre !
Y a-t-il un artiste ou un groupe avec lequel tu rêverais de jouer ?
Patrick COUTIN . Il y en a plusieurs dont certains ne sont, malheureusement, plus de ce monde. Mais j'adorerais jouer, ne serait-ce qu'une seconde, avec les Rolling Stones. Parce que c'est vraiment un groove que j'adore. C'est à la fois du rock mais en même temps c'est un peu du rhythm and blues. Je pense que, sur le fond, l'artiste que j'admire le plus c'est Neil Young. Je suis admiratif de cette espèce d'incroyable carrière de Neil Young. Toutes ces chansons incroyables qu'il chante toujours aussi bien, qu'il compose toujours aussi bien. Il y en a d'autres que j'aime mais je dois dire que j'ai une admiration pour ce chanteur qui est immense.
Patrick COUTIN . Probablement "Electric Ladyland" d'Hendrix. Parce que je n'ai jamais rien compris. C'est un extra-terrestre qui joue de la guitare. Je pense que j'emporterais l'Iliade d'Homère parce que c'est ma culture méditerranéenne. C'est un texte qui peut paraître compliqué pour ceux qui ne l'ont jamais lu mais qui est d'une simplicité, qui te parle d'un monde dans lequel Dieu est partout. Dieu est dans un livre, dans une tasse, dans le vent. Il y a du divin et de l'esprit de partout et j'aime ça. J'aime le fait de penser que je vis dans un monde qui est pénétré d'intelligence et de sentiments. En troisième, je prendrais une guitare, je pense.
A tu envie de rajouter quelque chose ou passer un message ?
Patrick COUTIN . J'aimerais parler d'un truc qui est compliqué. Sans doute ne faudrait-il pas en parler mais je vais quand même le dire. Il y a quelque chose que je trouve horriblement douloureux à l'époque où l'on parle. C'est que, tous les jours, des gens meurent sous les bombes et les balles. Quand j'avais 18 ans, la première chose que nous avons appris c'est d'être pacifistes. Alors ça peut paraître bizarre. Mon père était militaire, on s'était battus pour défaire le nazisme. On pouvait se dire finalement qu'il y avait une utilité à la guerre dans le monde. Mais nous on pensait qu'il y avait surtout une utilité à discuter, une une utilité à la paix, à ce que les gens se mélangent, que les frontières soient ouvertes. Moi, je crois toujours en ça et on a cru qu'on y était arrivés. D'abord, les jeunes américains ont fait exprès de perdre la guerre au Vietnam. Faut pas croire ! L’Amérique à perdu la guerre au Vietnam parce que les jeunes ne voulaient plus aller se battre et que les américains ne voulaient plus y aller. Ils ont perdu des milliers d'hommes mais on avait un peu progressé dans la fin des conflits. On pensait qu'il n'y aurait plus de conflits, par exemple entre les grandes puissances, Russie, Chine, et Amérique. On pensait que nous autres, européens, c'était un havre de paix dans lequel il n'y aurait plus de conflits et on avait l'impression que cette espèce de maladie humaine qui consiste à régler un problème en tapant sur la gueule de l'autre était passée ou qu'en tout cas, on y reviendrait plus, qu'avec le progrès, internet, le partage des cultures, les mômes qui vont d'un pays à l'autre, qui se marient entre eux, ce serait fini et qu'on ne se batterait plus jamais. Et que lorsque deux imbéciles iraient se battre tout le monde dirait "Bon les gars, vous arrêtez sinon vous allez en prendre une !".
Et bien non ! Comme toujours ce sont des gens jeunes, des gens fragiles, des deux côtés qui meurent pour des choses que des gens qui sont au pouvoir n'ont pas été capables de régler. Si moi je devais dire pourquoi je suis d'accord pour payer un président de la république, un premier ministre, un roi où une reine c'est pour qu'ils se mettent d'accord avec les autres, pour que l'on en arrive jamais là. Alors tu vas me dire, il y a un fou d'un côté... je ne veux pas rentrer là dedans. Je dis simplement que je trouve catastrophique, et on entend plus parler que de ça aujourd'hui, d'allouer de nouveaux budgets pour les armées alors qu'on a pas de quoi faire marcher les hôpitaux, chez nous mais chez les autres aussi. Je ne dis pas que les français sont moins bien ou pires que les autres, je trouve que cette espèce de retour à un monde d'antagonisme dans lequel on est indiscutablement parti, c'est horrible ! Ça a commencé avec des antagonismes religieux comme on a eu en Irak. On a pas vu venir le coût de cette violence qui fait que tu tues celui qui n'est pas d'accord avec toi et aujourd'hui on est en train de rentrer dans un antagonisme de pays, un antagonisme culturel. C'est à dire que l'autre devient tout ce que tu détestes. Mais moi je ne peux pas détester un être humain. Je ne peux détester, pas plus un russe, qu'un ukrainien ou qu'un chinois. Il y a des cons chez eux comme il y en a chez nous et il y a des gens bien. Il y a aussi des gamins qui ont le droit de vivre. Et donc, je me sens désarmé et malheureux devant ça. Malheureux de me dire que je vais mourir dans un monde où j'aurais laissé encore la guerre à mes enfants. Et je ne te parles pas de l'autre connerie qui est le fait qu'on est en train de détruire la terre, ce qui est déjà important. Tu vois, on aurait du boulot parce qu'on a quand même à se racheter. Et où tu vois, tranquillement, tout le monde s'installer dans le fait que finalement on va revivre bien pire que la guerre froide. On va revivre des conflits où ce n'est plus 50 personnes qui meurent chaque jour. Visiblement tout le monde s'en vante, c'est 1000 où 2000. J'aimerais bien avoir une solution. Je n'en ai pas. Et je suis obligé de le dire, ça fait partie des choses qui me rendent profondément malheureux. D'ailleurs, en ce moment, je n'arrive plus à écrire une chanson. Pourtant j'ai des envies mais je me dis "De quoi tu vas parler !?". Alors que tu as un mec qui, comme toi, écris des chansons et qui est en train de mourir à 2000 km de chez toi parce qu'il se bat pour son pays, son gouvernement. Est-ce qu'il a le choix où pas ? Et tu te dit quel sens à tout ça ? Je trouve ça très triste. On a un problème général de civilisation. Mais je crois qu'il y a des cycles dans les civilisations et aujourd'hui on arrive pas à intégrer ce qu'est l'intelligence artificielle. L'homme a perdu un peu de pouvoir sur ces machines mais je suis convaincu qu'il le reprendra. Je n'ai pas de doute là-dessus. Tu as beau dire tout ce que tu veux, l'intelligence artificielle c'est vachement bien mais ça ne remplace pas un être humain. La preuve, quand tu as fait une connerie c'est une catastrophe.
Donc
l'intelligence artificielle n'est guère qu'une machine qui singe un
être humain. Peut-être que le singe est le plus brillant d'entre-nous
mais il ne fait guère que le singer. On dit "Tu comprends, ce sont des
génies qui créent les ordinateurs donc c'est mieux que l'être humain
lambda". On est aussi dans une civilisation dans laquelle on amasse les
gens au même endroit. Le problème que l'on a dans Paris c'est qu'il y a
trop de monde alors que tu as des endroits qui sont déserts. Et tout le
monde vient chercher la même chose. L'argent, la gloire, la richesse, la
célébrité et je suis sûr que ça va se réguler si la planète survit.
Donc ça veut dire qu'il faut se révolter contre les gens qui la
détruisent. Il faut leur dire "Maintenant arrêtez !". Parce qu'on a cru,
pendant un moment, qu'ils avaient arrêtés, parce qu'ils ne le font plus
à Paris mais ils le font en Afrique où ailleurs. Donc c'est une
responsabilité humaine. Je ne crois pas que l'être humain soit plus
mauvais qu'il l'était il y a 100 ans/1000 ans. Je ne crois pas qu'il
soit meilleur non plus. Il a beaucoup de défauts mais c'est quand même
une espèce qui est en progrès constants. Malgré tout, on ne peux pas
nier non plus qu'entre le mec qui s'est levé et qui, un jour, est parti à
la chasse au Mammouth et ce que nous sommes aujourd'hui on a quand même
créé quelque chose d'extraordinaire, dans la douleur et quand tu
regardes ça tu te dis, quand même, il y a dans l'être humain des
ressources exceptionnelles. Tu peux pas non plus regarder que les
mauvaises personnes, tu peux regarder aussi l'Abbé Pierre. Tu peux pas
non plus mettre tout le monde dans la même poubelle. Mais la période est
troublante. J'ai 70 ans, bientôt 71. De ma vie, je n'ai jamais vu une
période aussi bizarre, aussi rétrograde que celle que l'on vit malgré
les moyens extraordinaires que nous avons dans les mains. Moi j'ai connu
un monde dans lequel on se plaignait qu'il manque de la moutarde dans
les supermarchés. T'avais deux pots de moutarde et c'était normal. Et
les supermarchés étaient grands comme mon salon. Aujourd'hui on vit dans
une abondance de tout. De bagnoles, de trains, d'avions, de bouffe, de
sucreries, de culture et on est pas capable de faire un vrai progrès
avec ça mais peut-être aussi parce qu'on est dépassé par ça. Je ne veux
pas condamner l'être humain en général. Je pense qu'il vit une période
difficile. Ça c'est clair. Et depuis la Covid, les gens ont pris
l'habitude de passer beaucoup de temps à regarder ce qu'on appelle
l'information mais qui, à 90 %, n'est que de la propagande. Pour une
lessive, pour un homme politique, pour une idée ou pour ce que tu veux.
Je crois qu'il y a une perte d'autonomie dans la population ou, en tout
cas, que les gens autonomes ferment leur gueule. Parce qu'il y a aussi
ça. Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas d'accord mais qui se taisent
parce qu'ils ont peur de l'ouvrir. Parce qu'on est dans une période où
beaucoup de gouvernements sont en position de pouvoir abuser du pouvoir.
La Covid a créé ça. Elle a créé une dépendance envers les gouvernants.
Donc notamment en France où on était un pays frondeur. On l'est beaucoup
moins. J'aime à croire que ce n'est pas définitif. Moi je suis sûr
qu'on va reprendre notre autonomie. On va reprendre le droit de rêver,
de parler à qui on veut. Et ces personnes qui ont pris un peu trop de
pouvoir vont commencer à comprendre que ça peut ne pas bien se finir non
plus. Et c'est vrai que la période est abominable. Marcher dans Paris
est devenu pénible aujourd'hui alors que c'est une ville merveilleuse
dans laquelle il y a tout pour être heureux. Des gamins et des gamines
magnifiques, des bagnoles, des bijoux, de la musique. Et pourtant on
descend parfois de chez soi en se disant "Oh là là..". Mais il y a quand
même une note d'espoir. Moi qui suis très proche de gens jeunes, ma
fille à 23 ans, je trouve que cette nouvelle génération qui arrive a des
idées intéressantes et qu'elle est très portée sur le respect de la
terre, sur le respect des autres, des races, qui ne fait pas la
différence entre les gens qui viennent de pays différents, qui sont
beaucoup plus ouverts que nous, en tout cas, que la génération d'avant
et ça, ça me donne de l'espoir.
Interview Thierry CATTIER
Photos Th CATTIER / SHOOTING IDOLS et DR
ReTranscription William Chopin