mercredi 31 août 2022

JACK ART // Interview // "Different Roads for Jack Art" Décembre 2021.

 
C'est une belle rencontre que nous vous proposons aujourd'hui, avec un de nos meilleur songwriter français, digne des plus grands.

Un habitué des scènes, dont l'univers très personnel et la sincérité sait nous transporter au cœur de l'Amérique telle qu'on l'aime, lors de concerts tantôt intimistes, tantôt fougueux, offerts aux 4 coins de notre beau pays pour prêcher la bonne parole, celle qui va droit au cœur.

Un échange riche et authentique avec un homme, un vrai, qui sait ouvrir la porte à ses émotions grâce à sa guitare, son piano et son micro.



Pour commencer cette interview, parle-nous un peu de ta jeunesse, ton adolescence, l'école, tes amis et ta famille.

Jack Art : Je viens de la région Champagne qu’on appelle désormais le Grand Est. Je suis né précisément dans une commune qui a changé de nom, qui s'appelait Châlons-sur-Marne et qui maintenant s'appelle Châlons-en-Champagne. J'ai baigné très tôt dans un milieu musical car mes parents étaient férus de musique classique. Ma maman dirigeait une chorale dont j'ai fait partie. Donc avant de chanter du rock’n’roll, j’ai chanté du Mozart, du Bach… en tant que soprane et ensuite en tant que basse. J’ai aussi pris des cours de piano dès l'âge de cinq ans. Donc milieu français moyens des années 70. Ensuite, je suis parti à Reims, qui est la grande ville de Champagne pour faire mes études. J’ai fait une école de commerce, et là j'ai vraiment commencé la musique, beaucoup moins classique avec un premier groupe dont on parlera par la suite. Donc un milieu très musical. Pas du tout rock n roll, mais très musical. On peut le résumer comme ça.

Quelles ont été tes premières découvertes musicales, tes premières influences et tes idoles ?


Jack Art : Il y a eu deux grands chocs. Le premier à l’adolescence avec AC/DC, avec je crois l’album For Those About To Rock. J’ai ensuite remonté toute leur discographie. J'ai découvert le vrai chanteur (Bon Scott) – je vais me faire plein d'ennemis – qui était décédé quelques années avant. Donc j'étais un fou fêlé d’AC/DC. Et moi, je suis d'une génération qui a connu l'indépendance de l'écoute musicale par rapport aux parents avec une invention extraordinaire le Walkman ! Chez moi, c'était la libération parce qu'il était hors de question d'écouter du rock chez mes parents, où il n’y avait que du classique. Donc mes premières émotions musicales ont été en cassette avec des choses très diverses et variées. Il y a donc eu AC/DC, mais aussi Mike Oldfield (Tubular Bells), Supertramp et évidemment les Beatles, les Stones... Ça a été vraiment avec les cassettes que j'ai fait mon éducation musicale.

Et le deuxième choc, c'était en 1985. Je faisais ce qu'on appelle une prépa école de commerce à Reims et j'avais un pote à l'époque qui me bassinait avec le Boss. Mais je connaissais Bruce Springsteen, j’avais entendu Hungry Heart trois ou quatre ans auparavant, le matin en train de tremper mon casse-croûte dans mon chocolat, sur RTL. Et puis on était dans la déferlante Born in the USA, Dancing In The Dark... je trouvais ça sympathique. Et un jour, il me fait écouter dans sa chambre d'étudiant à Reims deux titres de l'album The River, dont une chanson qui s'appelle Out In The Streets et là, il y a une espèce de révélation. Je commence à écouter sérieusement, à acheter les vinyles, enregistrer ça sur cassette pour pouvoir l'écouter sur mon fameux Walkman. Les CD commençaient à arriver mais je crois que je n'avais pas encore de platine. Et en deux ou trois mois, je me plonge dans le New Jersey. En plus, j'avais la chance de déjà parler anglais et de comprendre les paroles. Et je prends une baffe monumentale. Le romantisme désespéré de ce mec me touche.

Le piano, moi qui joue alors du piano classique, me touche, jusqu'au plus profond de mon âme. Je dis souvent que ce qui m’a fait venir à Springsteen, ce n'est pas Springsteen lui-même, ce n'est pas Clarence Clemons, le sax, que l’on considère toujours comme la cerise sur le gâteau. Non, c'est le piano de Roy Bittan. Et arrive le 29 juin 85, le fameux des deux premiers concerts parisiens de cette tournée Born in the Usa qui devait avoir lieu au stade de Colombes et qui a été déplacé à La Courneuve. Je vais voir ce concert. Je ne retrouve pas du tout mon copain de Reims, parce qu'à l'époque il n’y avait pas de portable. Donc je passe le concert tout seul. Mais c'est pas grave et je ressors K.O. debout ! Et je ressors en me disant : je veux faire ça. Ça, ça veut dire n'importe quoi pour avoir ne serait-ce que 1 % du plaisir que ces gars-là ont l'air d’avoir sur scène. Je ne voulais pas plus que ça être chanteur. Et dix jours après je me suis acheté une guitare, au départ pour faire partie d'un groupe. Et donc ça a été vraiment mon Big Bang personnel et tout à découlé de là, alors que j'avais quand même vu des groupes en concert, AC/DC, Téléphone, Higelin… J'avais vu pas mal de choses, mais jamais je n'avais reçu un choc comme ça.

A quel âge as-tu commencé à jouer de la guitare et du piano ?
Jack Art : J’ai commencé le piano à cinq ans ou cinq ans et demi je crois, avant mon entrée au CP. Et la guitare, je considérais à l'époque que c’était trop tardivement. Je me suis dit c'est foutu, ça ne marchera jamais. Je commence trop tard. J'ai commencé la guitare à 18 ans.
 
A quel âge as-tu écrit ta première chanson ?

Jack Art :
Alors je crois que la première chanson que j'ai écrite, c’est quand j'habitais à Londres. C'était en 89. Je crois que c'est une chanson qui s'appelait No Way Out. À l'époque, j'avais un groupe qui s'appelait One Step Up avec des Anglais.
 
Comment procèdes-tu pour écrire tes chansons, entre le moment où vient l'idée d'un texte, d'une mélodie, et celui de l’écrire ?

Jack Art :
Ça a changé avec les années. À une époque, j'avais toujours des idées que je notais. Je me souviens d'une chanson qui m'était venue sur un télésiège au ski. J'avais le riff de guitare et d’ailleurs elle est sur l'album que tu connais. C'est une chanson qui s'appelle Losing You sur l'album de Dust de 99. De plus en plus, j'ai besoin de me mettre dans une bulle créative. C'est à dire que je vais penser, je vais vivre songwriting non-stop. Je peux faire beaucoup de choses en même temps, mais je referme la bulle et je suis dedans. C'est ce que j'ai fait pour l'album The Outsider que j'ai écrit quand j'étais à New York, il y a deux ans. J'avais passé quelques semaines à Brooklyn et là, je savais que j'écrivais un album.
L'album précédent, ça a été très différent parce que ça a été de bric et de broc, mais en général et de plus en plus maintenant, il faut que je me mette dans une bulle, dans un espace créatif. J'ai beaucoup d'admiration pour les gens qui écrivent tout le temps, tout le temps, tout le temps. Je ne crois pas que je sois capable de ça. Le caractère prolixe d'un Prince, d’un Springsteen, d’un Neil Young me laisse toujours très admiratif.



Ta première expérience musicale, c'est avec le groupe DUST. Comment s'est passée la formation du groupe ?

Jack Art : Alors il y a eu plusieurs expériences. La première expérience musicale de groupe, ça a été quand j'étais en Reims. J'étais à l'époque en école de commerce et j'avais rejoint un groupe. Il y avait des soirées d'étudiants qui étaient organisées, donc il y avait un public captif et le premier groupe que j'ai rejoint s'appelait Le Chant Des Baleines et on avait joué plusieurs titres lors d’une soirée cabaret. J'avais réussi à leur refourguer un Springsteen, et donc c'est la première fois que je chantais sur scène autre chose que du chant classique, devant des gens. Il y avait aussi une chanson de Téléphone et une chanson du groupe Marc Seberg qui s'appelait je crois, le Chant Des Terres. Et aussi Echo Beach (Martha And The Muffins). On était en 86. J'avais à peine un an de guitare. Ensuite, quand je suis parti à Londres, alors non à Reims, j'ai fini par faire une espèce de putsch et prendre le contrôle du groupe qui est devenu Hearts of Stone. D'ailleurs, j'aurais pu en parler au concert que j’ai fait avant-hier quand j'ai repris la chanson Hearts of Stone en hommage au groupe Southside Johnny And The Asbury Jukes. C'est là que j'ai rencontré mon plus vieil ami, qui est musicien aussi. Ça fait trois décennies qu’on se connait, plus de 35 ans. Et donc ce groupe est devenu Hearts of Stone. On ne faisait que des reprises. On est allé jouer en Allemagne, c'était très sympa. Dans ce cocon que l'école de commerce.
Ensuite je suis parti à Londres, j'y ai vécu trois ans. Là, j'ai monté un groupe qui s'appelait One Step Up. J'ai commencé à écrire quelques chansons. On a fait des reprises : Carole King, Gary Moore…, j'étais avec des musiciens chevronnés. Ensuite retour en France en 92. Premier essai de groupe qui s'appelait Total Addiction, qui petit à petit est devenu Dust, que tu connais. Et puis après, il y a eu un gros creux entre le début des années 2000 et 2011, où j’ai décidé de me remettre sérieusement à la musique.

Quel souvenir gardes-tu de ces années DUST ?

Jack Art :
Je suis toujours en contact avec celui qui est devenu un ami très cher, le bassiste du groupe, mon ami Eric, qui en était la cheville ouvrière parce que c'est lui qui s'est tapé tout le sale boulot d'aller trouver les dates. On a fait avec Dust à peu près 300 concerts. On a écumé tous les pubs de Paris, région parisienne, à l’époque on pouvait encore faire des concerts facilement. Je garde des souvenirs magnifiques, des moments de rigolades extraordinaires.
Des tas d'anecdotes. On pourrait écrire un bouquin, mais comme tous les groupes qui ont tourné dans ce genre de petits endroits. C'est là que j'ai appris mon métier et c'est là que j'ai appris à jouer dans n'importe quelles circonstances. Je me souviens, on avait entre autre une résidence à Melun dans un pub. Un peu sur le système de la Guiness Tavern à Paris, on jouait de 22 h à 4 h, grosso modo en quatre sets. Et là, on a tout eu. On jouait dans une espèce de caveau, personne ou une ou deux personnes. Là, tu joues quand même. Et là il y a deux cas de figure : Soit des gens qui n'en ont rien à faire, là, c'est très très compliqué, soit deux personnes, mais absolument passionnées. Et tu joues pour elles et tu leur balances trois fois plus. L'autre extrême, c'est le truc rempli, gens enthousiastes, ça c'est le meilleur des deux mondes. Et le pire, le truc rempli et des gens qui n’en ont strictement rien à foutre.
Des erreurs de casting aussi. Je me souviens d'un concert dans un bowling. Je crois que c'était à Etampes ou à Dourdan. Et le gars, clairement, n'avait pas du tout écouté ce qu'on faisait. On sent bien que ça ne va pas passer, mais on fait le job quand même. Donc, quelles que soient les conditions, t’es là pour faire ton job d’artiste. Enfin quand je dis job, c'est pas du tout péjoratif, t’es là pour faire ta passion. Et on n'est jamais à l'abri que quelqu'un qui n'était absolument pas venu pour ça adhère et reste. Le souvenir que je garde de Dust, c’est jouer dans n'importe quelles conditions, partout où on voulait de nous, des moments de franche camaraderie avec Éric et puis avec un nombre de batteurs incalculable. Mais franchement, on s'est bien marré. Et c'est là que j'ai commencé à écrire des chansons, à les interpréter, à faire pas mal de covers, donc vraiment de très bons souvenirs.



Puis en 2015 tu formes The Jack Art Band, une aventure différente commence, raconte-nous tout ça.

Jack Art :
La genèse de The Jack Art Band remonte à 2011, sous l’influence de quatre personnes : mes fils qui sont maintenant musiciens professionnels, le premier batteur de Dust qui m'avait retrouvé sur Facebook, et ma compagne de l’époque. Je ne faisais plus de musique. J’avais une activité professionnelle « classique ». Ces gens-là me disent « refais de la musique ! » Donc j'ai voulu refaire un groupe pour jouer des reprises. J'ai eu du mal à trouver des musiciens. Ça ne s’est pas super bien passé. Et trois ans plus tard, mi 2014, je recommence à écrire des chansons. Je retrouve un batteur, mon fils Pablo se propose d’être aux claviers et on complète le line up précisément le 5 mars 2015 avec l’ajout d’un bassiste très créatif et d’un guitariste fabuleux qui vient compléter mon jeu (de guitare) qui est plutôt brut de fonderie, un guitariste très élégant qui s'appelle Pierre. Et là, The Jack Art Band était fondé. Donc une envie au départ de refaire de la musique, mais qui a mis du temps à se concrétiser de manière plus sérieuse, le plus important étant surtout de trouver les bons partenaires. Plus j'avançais, plus je me disais que j'avais encore des choses à écrire, à dire. Et le postulat de base, c'est un groupe. Essayer d'avoir le meilleur des deux mondes : un groupe autour d'un projet individuel, c’est à dire mes chansons, ma manière de chanter, ma manière de jouer, avec des musiciens  qui ne sont pas au service, mais qui viennent enrichir une vision individuelle. J'ai eu beaucoup de chance dans The Jack Art Band d’avoir à la fois de très bons musiciens et de très belles personnalités.

Puis vient la création de l'album concept THE LIFE AND TIMES OF CANDY ROSE. Raconte-nous l'histoire de cet album

Jack Art :
C'est un album qui est né de manière un peu bizarre, alors que l'album de Dust et The Outsider étaient le fruit d’une décision de faire un album. En 2016, mon fils Pablo, claviériste du groupe, m'annonce son intention de quitter The Jack Art Band pour se concentrer sur le projet qu'il a avec son frère, mon deuxième fils, qui est batteur. Je lui ai dit « écoute, ça serait bien qu’avant ton départ on fixe sur bande (virtuelle) tes parties de clavier, qu'on fasse des maquettes des quelques titres qu'on a. » On avait un studio de répétition à Pantin à l'époque, qu’on louait au mois. On a donc apporté une station de travail, on s’est fait prêter un parc de micros. C’était au mois de novembre 2016. On avait prévu deux jours pour faire les pistes rythmiques, basse, batterie en live avec ce qu'on appelle une voix et une guitare témoins. On commence à enregistrer deux ou trois titres. J'écoute au casque. Je me suis dit ça sonne et donc je leur dis à la fin de la première journée qu’à mon avis on avait de quoi faire un EP.
-  Eux : « t’es complètement taré, un EP, pour qui, pourquoi ? »
-  Moi : « écoutez, faîtes-moi confiance, et demain on réenregistre des choses. ».
On avait sept ou huit titres. J’en propose quelques autres.
-  Eux : « mais on ne les a pas assez répétés !»
-  Moi : « On y va quand même. Et puis on va faire un album ! »
-  Eux : « T’es un grand malade ! Avec quoi ? Comment ? »
En fait, après, il y a eu un enchaînement d'événements, des rencontres de personnes. Mais l'album est né un peu par hasard. Le concept de Candy Rose ? Je m'étais aperçu que j'écrivais beaucoup sur des personnages féminins ou en me mettant moi-même dans la peau de personnages féminins. Et je me suis dit que ce serait pas mal, en adaptant un petit peu les paroles, de dresser un peu la vie d'un personnage fictif, que j'ai appelé Candy Rose depuis son plus jeune âge jusqu'à sa mort et avec une chanson épilogue. Et c'est devenu un album concept : The Life And Times Of Candy Rose.

Pourquoi le choix de travailler avec ton fils ?

Jack Art : J'ai la chance d'avoir des fils qui sont à la fois des êtres humains extraordinaires et qui se révèlent être de très, très talentueux musiciens. Mes parents, quand ils étaient encore de ce monde, avaient un piano à queue, et Pablo, mon fils aîné, à l'âge de deux ans jouait des choses qui avaient déjà une cohérence rythmique et même harmonique. Pendant quelques années, j'ai habité une grande maison à l'extérieur de Paris, où il y avait la fameuse pièce à musique. Pablo jouait beaucoup de piano à l'oreille. Il a commencé à prendre des cours de guitare et s'est révélé être un merveilleux guitariste et à l'époque, Lucas (mon deuxième fils) a commencé la batterie. Et je les voyais progresser à vitesse grand V. Et quand il s'est agi de trouver un clavier pour The Jack Art Band - ce qui pour moi était quelque chose non négociable, toutes mes références et influences américaine ont des claviers (Springsteen, Tom Petty, Jackson Browne, Mink de Ville…), et quand je parle de claviers, ce n'est pas que de l'orgue, c'est surtout du piano – Pablo me dit Papa, moi je veux faire partie du groupe. Et il a en été la signature. Quand on écoute l'album The Life And Times Of Candy Rose, ce qui frappe en premier, c'est le piano. Donc il a été une grande partie de la signature sonore et musicale de The Jack Art Band.
Ça n’a pas été toujours facile pour être très honnête, parce que ce n'est pas facile de laisser les liens familiaux à la porte du studio de répétition ou de la salle de concert. Mais ça nous arrive de rejouer ensemble. Par exemple il y a deux mois, il est venu avec son frère me rejoindre sur scène à la fin d’un de mes concerts en solo à Paris. C'était vraiment formidable, c'est quelque chose d’énorme de jouer avec ses enfants. On se rend compte qu'on a transmis quelque chose qui m'a moi-même été transmis par ma mère et mon père. Donc, c'est une expérience énorme.



Tu décides d’entamer une carrière solo avec la sortie en 2020 de l'album THE OUTSIDER, plus intimiste. Ta façon de travailler a-t-elle changé ?

Jack Art : Oui, bien sûr. J'écris toujours à l'ancienne, c'est à dire soit avec un piano, soit avec une guitare acoustique, et la voix. Je suis très old school et si une chanson « sonne » avec uniquement un instrument et une voix on peut ensuite mettre plein de choses autour. L'inverse n'est pas toujours vrai. Donc à la différence, c'est que là, quand j'ai commencé à écrire ces chansons, je savais que j’approchais de leur version finale. Je me souviens de la manière dont j'ai écrit l’album. J'avais quelques textes déjà, mais pour la plupart des chansons, je faisais des allers retours entre le cahier, le piano ou la guitare, avec des bribes de paroles, au moins pour construire une mélodie.
Et j'avais une obsession que j'ai toujours et que j'ai sur scène aussi. Je venais d'un groupe très chargé. Pour ceux qui veulent regarder ça sur YouTube, il y a la vidéo du concert complet de la release party de The Life and Times of Candy Rose, à la fin on était sept sur scène !. Donc je passais d'un groupe où on pouvait être sept sur scène, à un truc tout seul, avec quelques ajouts pour l'enregistrement, mais vraiment minimes. Et mon obsession c'était « pourvu que les gens ne s'emmerdent pas, pourvu que ça ne soit pas ennuyeux à écouter, trop aride ». Donc voilà, ça a été la manière de composer cet album et elle a été vraiment différente. Et je pense que ça sera unique parce que je vais me rediriger vers des choses plus électriques. Mais là, j'écrivais des chansons qui allaient rester dans leur forme primaire, ce qui n'est pas le cas normalement. Quand on écrit une chanson on fait une maquette, après on construit une partie de batterie, on va fait intervenir des guitares électriques ici…Là, ça n’a pas du tout été le cas.

Tes clips sont très classieux avec une identité visuelle qui colle parfaitement à ta personnalité forte et sensible à la fois. Si tu devais faire un top ten de ces clips ?

Jack Art : Je travaille avec un garçon extrêmement talentueux qui s'appelle Alexis Da Costa, qui est un jeune réalisateur, illustrateur, acteur. Il a beaucoup de talent. On a commencé à travailler ensemble pour The Life And Times Of Candy Rose. On a sorti un single qui était la première chanson de l’album, When The Sun Goes Down. J’ai fait travailler toute une partie de ma famille, les parents et les enfants dans ce clip. Dont la petite Eva qui a interprété Candy. Nous n’avions quasiment pas de budget, ce qui a forcé Alexis à être très inventif en terme d'effets spéciaux, de scénario...
Quand j'ai lancé le projet The Outsider, je lui ai naturellement demandé s'il accepterait de gérer toute la partie image, y compris le crowdfunding, le teaser, l’artwork... On a travaillé avec un photographe alsacien, Jean-Pierre Schmid. J’ai juste donné quelques pistes à Alexis pour l’atmosphère de la pochette. Je voulais quelque chose de sobre et élégant. Et ensuite bien évidemment, il s’est occupé du clip du 1er single de l’album, Chin up Sally, que nous avons tourné en noir et blanc dans un minuscule théâtre dans le quartier des Batignolles à Paris (Théâtre Truffaut), où je me produis maintenant régulièrement. C’est un très beau clip.
Le deuxième clip, Sunday Morning, NJ, une chanson que j'ai écrite dans le New Jersey sur une nappe de restaurant, est à la fois un hommage en filigrane à Springsteen et au New Jersey profond. Nous avions prévu d’aller tourner là-bas, mais le COVID est arrivé. On a donc dû se débrouiller avec des images d'archives et des plans tournés au Théâtre Truffaut. C'est quelque chose de très élégant.
Mais le clip dont je suis le plus fier, c'est le dernier. C'est la chanson titre de l'album The Outsider, qu'on a tourné dans une belle et grande maison bourgeoise du côté d'Épernay, en Champagne. Alexis a réalisé un travail absolument magnifique sur l'image et le noir et blanc, avec quelques touches de couleur à la fin. J'ai eu beaucoup de chance de le rencontrer. C’est lui qui m'a aidé à façonner l'image que je veux transmettre dans mon travail.
Quant au Top 4, il est très simple : ordre chronologique inversé, le dernier en date est le meilleur.

Avec le confinement tu nous as offert beaucoup de livestreams. Que penses-tu de cette nouvelle approche musicale ?

Jack Art : C'est un pis-aller. Je ne voulais pas en faire au départ. Puis j'ai fini par me rendre à l'évidence car tout le monde s’y mettait. Et c'est devenu un exercice rituel. J'en ai fait beaucoup, quotidiennement sur Instagram et un par semaine sur Facebook qui était devenu le rendez-vous du dimanche soir. Je passais du piano à la guitare avec mes propres chansons et des reprises que je variais à chaque fois. Ça a petit à petit fidélisé un public et c'est comme ça que je me suis fait pas mal connaître de gens qui n'avaient jamais entendu parler de moi auparavant. Et ça m'a permis aussi de façonner le spectacle que je fais sur scène maintenant qui s’intitule Stories of America. Je revisite mes propres titres (issus aussi du répertoire de Dust et de The Jack Art Band) en solo et en acoustique. Et puis je picore dans le vaste choix des chansons de mes influences, au niveau des songwriters américains : Dylan, Springsteen, Young, Petty
Donc ça, ça a quand même préfiguré ce que je fais maintenant. Mais il y a une énorme frustration quand on fait des livestreams. Il y en a deux en fait. Le décalage entre les commentaires des gens et l'image qu'ils voient, est d’environ 30 secondes, ce qui rend l’interaction impossible. Je crois que c'est une mesure de sécurité mise en place par Facebook. Et l’autre frustration, énorme, c'est quand vous jouez le dernier raccord d'une chanson. Il y a un grand silence, il n’y a aucune réaction. Donc ça, c'est pas facile de s'y habituer, mais ça m'a vraiment éclaté et beaucoup aidé à façonner ce que je fais maintenant sur scène.



Avec les contraintes liées à l'arrivée du COVID, n'est-ce pas trop difficile de promouvoir la musique tant pour les albums que pour les concerts ?


Jack Art : C'est vrai, c'est devenu effectivement très compliqué. J'ai eu un très bon attaché de presse, Pat Kebra, pour la promotion de The Outsider. L’album a bénéficié de beaucoup de passages radios, de très beaux articles dans Rolling Stone, Rock and Folk, de très belles chroniques par d’éminents rock critiques comme Gérard Bar-David par exemple.
Pour les concerts, ça a été compliqué, beaucoup de dates ont été annulées. Les premiers concerts que j’ai organisés au Théâtre Truffaut ont été reportés 4 fois ! Mais j'ai quand même joué. J'ai fait quelques dates en province. La chance que j'ai, c'est que je suis tout seul, donc c'est plus facile à décaler. Mais c'est compliqué. Je m'estime chanceux néanmoins d'avoir pu jouer autant par rapport à beaucoup d'autres musiciens.


Aujourd'hui, quels sont tes groupes ou artistes préférés ? Sont-ils les mêmes qu'avant ? Y a-t-il une chanson ou un album qui restera pour toujours ?

Jack Art : Malheureusement, je n'ai pas trop de temps pour découvrir des nouveaux groupes, donc je me fie aux recommandations de mes amis.
Quand j'ai pris la décision d'enregistrer The Outsider, avant de me mettre à l’écriture, je n'ai écouté que des singers-songwriters. J'ai beaucoup écouté Carole King, Jackson Browne, James Taylor… ; ce sont des artistes qui me marquent profondément. Tapestry, le premier album de Carole King, est un chef d’œuvre. Il n’y a rien à jeter. Tout est bon.
Donc mes goûts vont plutôt vers ces grands artistes, qui ne sont pas nouveaux.
Dans les groupes plus récents, mes fils m'ont fait découvrir le groupe anglais Arctic Monkeys. J'ai mis du temps à m'habituer à la voix d’Alex Turner et au son des guitares. Je suis plutôt de l’école overdrive concernant les guitares ! Ce qui n’est pas du tout le cas chez Arctic Monkeys. Mais niveau songwriting, c'est fabuleux. Je dois écouter un album qu'on a recommandé qui a été enregistré par Bruno Mars avec un autre artiste américain. Il paraît que c'est magnifique. On m'a fait découvrir aussi très récemment un artiste anglais qui est basé à New York, qui s'appelle Adam Masterson et qui vient de sortir un album, que je n’ai pas encore écouté. Le single qui est sorti Bring Back The Freaks est absolument magnifique. Il y a aussi Jesse Malin, Elliott Murphy
Si je dois garder une chanson, ça ne va pas être original. Born To Run. C'est une déflagration sonore à chaque fois que j'écoute ce titre de Springsteen. C'est la seule chanson de son catalogue dont j'estime que la version studio n'a jamais été égalée par les versions live. Il faut dire qu'il avait passé, je crois, un an à mixer le titre. Il avait même été voir Phil Spector parce qu'il voulait recréer le Wall of Sound (technique d'enregistrement de Phil Spector). Et c'est juste extraordinaire. Donc, si j'ai une chanson à garder c’est Born To Run,
Quant à l’album… le requiem de Mozart ! La version de Karl Böhm.


Tu as entamé une série de concerts intimistes au Théâtre Truffaut ou tu joues des setlists très différentes à chaque rendez-vous, parle-nous de ce beau projet.

Jack Art : J'ai réalisé qu’il allait être assez compliqué de tourner avec COVID. J'avais eu un coup de cœur pour ce théâtre de poche, qui peut accueillir environ une vingtaine de spectateurs, situé dans le 17ᵉ arrondissement à Paris, dans le quartier des Batignolles.
Je m'étais dit que ça pouvait vraiment être sympa de faire quelque chose là-bas. Le public est très confortablement installé dans des fauteuils type salle de cinéma et il y a une vraie scène avec des éclairages. Un endroit idéal pour des concerts en solo. Il y aussi un beau piano droit Yamaha. Et j'ai toujours rêvé d'avoir une résidence mensuelle quelque part. On s'approprie le lieu, on se sent à la maison et on peut essayer des choses. Les deux concerts qui devaient avoir lieu en septembre et en octobre 2020 ont été décalés quatre fois. Le premier concert a finalement eu lieu le 24 septembre dernier et ça a été une expérience forte, intéressante, et aussi émotionnelle. Beaucoup de gens qui étaient venus à ce premier concert sont revenus au deuxième ce qui m’a donné l’idée de faire varier la setlist à chaque concert, en puisant dans mon propre catalogue, en réadaptant des titres électriques en acoustique... Le but est surtout de faire plaisir au public tout en me faisant plaisir. Je varie aussi les reprises. J'essaye de changer au moins 20% de la setlist à chaque fois. Il y a une gageure, un challenge et ça me maintient en alerte, ça me fait travailler.
C'est un laboratoire pour moi. C'est mon rendez-vous parisien maintenant acté. De plus l'hôte des lieux, Pascal,  est artiste lui-même.



Parle-nous de tes influences cinématographiques qui sont liées à ta musique ?

Jack Art : J'ai réalisé que la plupart de mes influences au niveau du songwriting, ne sont pas tant musicales que ça, mais beaucoup cinématographiques. Sur l'album The Outsider, il y a au moins trois chansons qui sont directement inspirées de films. La même chose sur Candy Rose. J'ai écrit une chanson qui, The Craftsman (l’artisan), qui est une sorte de manifeste sur ce que j'estime être mon métier. Mon métier, c'est de raconter des histoires, d'en faire des chansons et que ça fasse plaisir aux gens qui les écoutent. Je parle beaucoup sur scène, j'essaye toujours de donner le contexte des chansons que j'interprète, que ce soit les miennes ou celles des autres. Je me suis vite aperçu que j'avais beaucoup de références cinématographiques. Mes neurones sont imbriqués de telle manière que quand on me parle de quoi que ce soit, de choses insignifiantes ou non, j'ai tout de suite des images en tête. Et c'est vrai que je m'efforce toujours de raconter des histoires, des chansons, des petits scénarios et donc le cinéma, avec une énorme influence sur moi.
Quand je parle de cinéma, je parle de films vus dans des salles de cinéma. J'adore les séances du matin. J'ai la chance d'habiter Paris. On peut aller au cinéma, par exemple aux Halles, à partir de 9 h le matin. Et comme je suis un peu maniaque, j'aime bien être dans le silence complet sans les bruit du popcorn (désolé pour ceux qui en consomment !). L'avantage des séances du matin, c'est qu'il n’y a que des cinéphiles. J'adore les salles du Quartier Latin pour les vieux films. Parmi les réalisateurs qui m'influencent, il y a pêle-mêle, Wim Wenders, Sergio Leone, Martin Scorcese, Brian de Palma, Coppola, Jean-Pierre Melleville... Ce sont des gens qui racontent des histoires. J'aime beaucoup le cinéma de François Ozon aussi et je suis un grand défenseur de Claude Lelouch qui est en général conspué par la bien-pensance artistico-bobo-parisienne. C'est un formidable raconteur d'histoires. J'aime aussi les cinéastes italiens :
Rossellini, Visconti, évidemment. Je me nourris des images de tous ces gens. Almodovar côté espagnol, Bergman dans les pays scandinaves.
Si je dois garder un film, Il Était une Fois en Amérique de Sergio Leone. J’ai des frissons rien qu’n en parlant. Donc oui, vraiment, le cinoche c'est quelque chose qui me marque beaucoup. Je suis ébahi par la qualité des films que j'ai vus récemment au cinéma. Par exemple la version de Spielberg de West Side Story. Je ne suis pas très comédie musicale mais j'ai pris une énorme claque. Et sur le fond et sur la forme. Il en a fait une version plus sociale, raciale. Tous les problèmes de l'Amérique (passés et actuels) sont mis en exergue. Oui, vive le cinéma !
Il y a un film qui m'a énormément marqué, La Nuit Du Chasseur. Il y a une chanson sur l’album The Outsider qui est directement inspirée du personnage de Robert Mitchum, The Man On The Train. C’est un personnage ambivalent.

Pour 2022 raconte-nous un peu tes projets à venir ?

Jack Art : Continuer et amplifier les concerts en province et si possible les festivals l'année prochaine avec Stories of America. Des concerts solo où les gens ne s'ennuient pas ! J’ai aussi un projet d'album très ambitieux, un retour à des choses plus électriques avec d'autres musiciens. Je ne pense pas que je remonterai un groupe comme The Jack Art Band, avec une identité de groupe, mais j’aimerais enregistrer un album, si possible des deux côtés de l'Atlantique, en France avec des musiciens français et aux États-Unis avec des musiciens américains. Parce que mes racines, mon ADN musical sont de l'autre côté de l'Atlantique. Il s’agira d’un album concept. J'ai commencé à écrire. Donc 2022, est une année de live et une année d'enregistrement. Et si tout se passe bien, la de l'album sera début 2023.

Pour finir, si tu devais te rendre sur une île déserte et ne garder que 3 choses : un disque, un film et un troisième choix, quelle serait cette sélection et pourquoi ?

Jack Art : Un disque : le requiem de Mozart. Un livre : Le Nom De La Rose, d'Umberto Eco. Je ne suis pas un lecteur de grande littérature, mais ce livre est d'une beauté exceptionnelle. J'ai vu évidemment le film avec Sean Connery et avec je crois Christian Bale dans le rôle du jeune novice (NDLR : Christian Slater). Le bouquin est juste magnifique. Un objet : je pourrais évidemment dire une guitare, mais je vais aussi essayer de trouver autre chose. J'ai une très belle sculpture. C'est une sculpture qui vient de Côte d'Ivoire qui m'a été offerte il y a quelques années : une femme en train de jouer d'un instrument. Et puis j'ai une tasse fétiche, un mug que je possède depuis 35 ans, qui m'a suivi partout et qui n'a jamais cassé ! J’y prends mon café tous les matins.

Si tu devais te définir en un mot, en une phrase ?
Jack Art : C'est une phrase de Léonard de Vinci : La simplicité est la sophistication suprême.

Merci à toi.

Jack Art :
Merci à toi et à bientôt sur une scène.

Avec plaisir.

Le Clip ici "The Outsider"



Interview Paris Decembre 2021
Thierry CATTIER
Photos : Shooting Idols / Th Cattier et DR