vendredi 21 mai 2021

KENT // Interview // Juste quelqu'un de bien ... 19 Mai 2021.

 
Ya des jours comme ça, vous croisez certaines personnes qui vous font revivre des moments de votre vie.

 en est un qui, au travers de son parcours musical, a chevauché nos vies à tous. Il y a toujours un refrain qui revient dans nos têtes avec les images de notre passé. C'est avec ces précieux moments que nous avons pu faire cette belle interview de Kent, qui a accepté de répondre à nos questions avec toute sa sincérité et sans langue de bois. Un vrai bonheur de pouvoir échanger avec un artiste qui est un vrai "quelqu'un de bien". On vous laisse poursuivre votre lecture pour découvrir ce bel échange.



Tu es né et tu as grandi à Lyon. Comment s'est passée ta jeunesse, et quels souvenirs gardes-tu de tes premières années, l’adolescence, l'école, de tes amis et ta famille ?

Kent. J’ai eu une jeunesse simple dans un milieu modeste. Un divorce parental m’a offert une liberté bienvenue. J’ai gratté sur mon assiduité scolaire pour me consacrer au mieux à la BD et au rock. Deux genres plutôt mal vus à l’époque, mais je savais que c’était à cela que je voulais me destiner.

Quelles ont été tes premières découvertes musicales, tes premières influences et tes idoles ?

Kent. Enfant, j’écoutais la radio et j’aimais à peu près tous les tubes que j’entendais. Ado, je me suis plus intéressé au rock anglo-saxon. Je me suis détourné de Johnny, Polnareff et compagnie qui avaient fait mon éducation. J’ai découvert Creedence Clearwater Revival, puis les Moody Blues, les Who, Led Zeppelin… Le hard rock, le rock progressif… J’écoutais tout ce que je pouvais me procurer. Certains groupes m’ont marqué plus durablement que d’autres et c’étaient souvent des groupes en marge. Les Stooges, personne ne les écoutait autour de moi; de même que Van Der Graff Generator. Je peux aussi citer David Bowie et Roxy Music. C’était loin d’être le tout venant à l’époque, du moins en France. Doctor Feelgood a été une véritable révélation. Leur musique était tellement basique et efficace qu’ils m’ont ôté tous mes complexes. Vu mon niveau à la guitare, il m’a été plus facile de m’identifier à Wilko Johnson qu’à Jimmy Page.

A quel âge as-tu commencé à apprendre à jouer d'un instrument puis commencé à écrire tes premières chansons ? Te souviens-tu de tes premières créations ?

Kent. J’ai appris à jouer de la guitare vers 14 ans et j’ai tout de suite tenter d’écrire mes propres chansons. Dès que j’ai su aligner trois accords, j’ai composé. Je n’ai gardé aucune trace de mes premières chansons. J’essayais d’imiter Peter Hammill, ça ne devait pas être folichon.

Vers 1976 à Lyon au Lycée Saint-Exupéry, tu crées Starshooter avec des belles premières parties : The Damned, Iggy Pop ou Jacques Higelin entre autres, plusieurs tournées avec 4 albums, le dernier "Pas fatigué"  en novembre 1981 signe la séparation du groupe. Tu démarres alors une carrière solo. Quels sont tes souvenirs de ces années Starshooter ?

Kent. Je garde beaucoup de très bons souvenirs et quelques mauvais. On sautait vraiment dans l’inconnu. En 1976 en France et de surcroit en province, se lancer dans le rock relevait du délire. Il n’y avait rien pour cela, pas de circuits, pas de salles où jouer, les maisons de disques étaient noyautées par les producteurs de variété. J’avoue avoir eu de grands moments d’abattement entre mon année de terminale et notre premier article dans Rock’n’Folk signé Philippe Manoeuvre. Il avait juste écouté une cassette de démos. C’est dingue!

Il y avait une attente des mômes à l’époque pour un rock français qui leur parlait directement, on est tombés au bon moment avec la bonne attitude. Je suis fier et heureux d’avoir contribué à une explosion musicale qui a chamboulé les mentalités.

Te souviens-tu du tout premier concert que tu as donné ? De la ville et/ou de la salle ?

Kent. Le premier véritable concert de Starshooter, c’était en 1975, à la fête du lycée Saint-Exupéry à Lyon où je terminais ma scolarité. Là, j’ai senti qu’on tenait quelque chose. Mon premier concert post-Starshooter a eu lieu à Lyon encore, au festival Les Nuits Bleues, il me semble. Ça devait être en 1985. Rien de mémorable.

Entre 1982 et 1986, tu réalises une grande passion pas moins de six albums de Bandes dessinées (Humanoïdes Associés et Futuropolis) quelle est ton approche artistique de la création de BD, en quoi est-ce différent de la musique ? Les deux activités se complètent-elles ?

Kent. J’ai voulu être dessinateur de BD dès l’enfance. La passion pour la musique est venue par la suite. Dès lors, j’ai souhaité poursuivre les deux de front. Pour moi, ce sont deux moyens d’expression très différents. Complémentaires, sans doute, rapport à mon caractère. J'ai besoin de m’isoler au calme et de m’exhiber en public. Bien qu’avec le temps, ce besoin d’exhibition ait tendance à se tasser. Quand je suis las de monter sur scène, je me retire à ma table à dessins, jusqu’au moment où j’ai de nouveau la bougeotte et des choses à dire qui se chantent.



Puis en 1990, à la suite du succès de l'album "À nos amours" et de la chanson "J'aime un pays", tu décides de quitter Lyon et de t’installer à Paris. Pourquoi ce changement ?

En vérité, j’ai quitté Lyon avant le succès, en 1988. Je tournais en rond dans cette ville, je n’y trouvais pas les compagnons que je cherchais pour aboutir mes idées musicales. Un jour à Paris, j’ai rencontré Jacques Bastello qui cherchait des textes pour ses chansons. Comme il était un excellent musicien, il m’a proposé de travailler sur les miennes. On s’est entendus à la minute. À démarrer alors une collaboration magnifique et une amitié qui dure encore.

Tu écris en parallèle des romans et des chansons pour d'autres interprètes, Enzo Enzo (le tubesque "Juste quelqu'un de bien"), Michel Fugain, Johnny Hallyday ("Tout pour te déplaire"), Nolwenn Leroy ou Calogero... Travailles-tu différemment lorsque tu écris pour les autres ? Quelles expériences gardes-tu de ces collaborations ?

Kent. J’aime qu’on me laisse la liberté d’être moi-même lorsque je travaille avec quelqu’un d’autre. Je ne sais pas faire du sur-mesure. Je peux même dire que je suis de moins en moins conciliant. Mais je suis toujours curieux de rencontrer d’autres artistes et j’aime les collaborations inattendues. Je garde un excellent souvenir de mon travail avec Calogero.


"L'Homme de Mars" sorti en 2008 était un très beau projet, une bande dessinée illustrant et complétant l'univers décrit dans l’album. Ce mélange de sons et d’images est-il une forme d’expression différente ? Quel a été le processus d’écriture des chansons et de réalisation des illustrations ?

Kent. Les chansons étaient là en premier. Puis j’ai voulu illustrer chacune d’elles avec un dessin en couleurs à la manière des vieux illustrés de science-fiction des années 50. Je me suis pris au jeu et au final j’ai dessiné en plus cinq planches en noir et blanc pour chaque chanson. L’idée d’un concept-album m’excitait grandement et l’inspiration était là. J’en ai profité.

Durant l'été 2013 tu deviens animateur de radio sur France Inter, tu animes une émission de musicologie intitulée Vibrato. Une nouvelle corde à ton arc ?

Kent. C’eut été possible, oui. Mais réaliser une émission de radio quotidienne avec sérieux, si on ne se contente pas d’être un simple animateur qui lit ses fiches, c’est un travail à plein temps. Or je ne souhaitais pas arrêter de composer et de me produire sur scène. C’est pourquoi j’ai décliné l’offre de France Inter de poursuivre l’émission à la rentrée suivante.

Émission de musicologie, je n’irais pas jusque là. Je ne suis pas musicologue, je suis juste un amateur enthousiaste.

En décembre 2019 avec Patrick Mahé, tu crées une BD "Elvis, ombre et lumière", un très bel hommage au King, l’occasion rêvée pour de belles reprises d'Elvis. Peut-être un jour un concert en hommage, qu'en penses-tu ?

Kent. Pour ma tournée de dédicaces en librairie, j’avais monté un répertoire de chansons d’Elvis en forme de panorama de sa carrière. Ça me permettait de raconter le projet du livre en musique. Chanter Elvis après avoir passé deux ans et demi à le dessiner, m’a fait un bien fou. C’était les grandes vacances après le turbin! Je ne pense pas qu’Elvis ait besoin d’un concert hommage de plus, mais reprendre une de ses chansons de temps en temps, pourquoi pas!

Un mot sur David Bowie, un autre artiste né un 8 janvier et que tu aimes tout particulièrement ?

Kent. J’ai découvert Bowie avec Ziggy Stardust en temps réel, c’est à dire au moment de le sortie de « The Rise and Fall of Ziggy Stardust & the Spiders from Mars ». Cet album n’était pas un événement marquant de l’époque et personne ne soupçonnait qu'il deviendrait mythique des décennies plus tard. J’étais intrigué par l’esthétique de ce chanteur inconnu et par sa jubilation à jouer l’ambiguité sexuelle. N’empêche que j’ai accroché durablement à sa musique. Musicalement, « Aladdin Sane », moins léché, plus brut que « Ziggy Stardust », me convenait mieux. « Young Americans » et « Station to Station » ont été deux belles claques aussi. J’ai aimé qu’il laisse tomber son personnage de Ziggy pour partir sur autre chose. J’ai décroché à partir de « Low ». Starshooter prenait son envol et mes préoccupations musicales étaient bien différentes des siennes. J’y suis revenu avec « Scary Monsters » que j’ai découvert en cassette dans l’autoradio de la bagnole qui nous menait à Londres pour enregistrer le dernier album du groupe. Et depuis, je suis resté accro.

On peut aimer des disques qui correspondent à nos humeurs et qui vont être la bande-son de notre nostalgie. On peut aussi aimer un artiste pour la façon dont il a mené sa carrière, ses prises de risques, ses remises en question. Dans ce cas tout est intéressant, même les ratés. Surtout les ratés, je dirais même. Ils révèlent des doutes et des errances qui rendent la personne vulnérable, touchante. Bowie pouvait donner l’impression de maîtriser parfaitement sa carrière. Or il marchait au jugé et à l’intuition et le succès pour le succès l’emmerdait. Son oeuvre est riche et audacieuse. C’est ce qui fait que je ne me lasse pas de l’écouter.

Reste-t-il encore un domaine artistique auquel tu ne t’es pas encore essayé et qui te tente  fortement?

Kent. J’ai un peu joué la comédie, dans deux ou trois courts-métrages amateurs et un long-métrage qui n’a malheureusement pas marché. J’ai beaucoup aimé  cette expérience. Ça m’aurait plu d’être acteur.

En ce moment, plus les années passent, plus le monde va de travers... Crises sanitaires, mouvements sociaux… Que penses-tu de tout cela ?

Kent. Il en a toujours été ainsi, sauf qu’auparavant cela ne concernait que des régions du monde à un temps donné. Depuis la seconde guerre mondiale, toute action humaine, quel que soit le lieu où elle se produit, a des conséquences planétaires. L’Humanité n’en a pas encore pris la juste mesure. Dans le meilleur des cas, ça nous traverse l’esprit quelques secondes et très vite on chasse la vision parce qu’elle est intenable. On préfère continuer à rafistoler des problèmes insolubles qui nous conduiront à notre perte plutôt que sauter dans l’inconnu.
 
Comment as-tu vécu cette période de la pandémie de coronavirus depuis plus d'un an ...? As-tu déjà des projets pour le 9 juin ?

Kent. Sur la fin, je me sentais comme Numéro 6 dans le feuilleton « Le Prisonnier ». Sinon j’étais mieux loti que beaucoup de gens. J’avais choisi que 2020 soit une année sabbatique, la pandémie a donc peu entravé mes projets. J'observe toujours la situation avec une curiosité d’ethnologue. Je n’ai pas été surpris par l’ampleur de la crise. En tant qu’amateur de science-fiction, j’avais lu des auteurs qui prédisaient cela depuis longtemps.

Je ne sais pas à quel point les cartes seront rebattues. Quelles conséquences en tirerons-nous vraiment? Y aura-t-il un monde d’avant et celui d’après… On est partis pour voir la pandémie comme une parenthèse malheureuse plutôt qu’une prise de conscience salutaire.

Oui, j’ai quelques projets, mais je vis au jour le jour. On verra où tout ça nous mène.

Actuellement beaucoup de groupes utilisent le principe du crowdfunding, et du téléchargement numérique. Quel est ton avis sur cette nouvelle façon de partager la musique ?

Kent. Il serait beaucoup simple que les gens achètent à nouveau des disques - vinyles, CD, téléchargement, peu importe le support - plutôt qu’ils écoutent de la musique en streaming. Les artistes ne touchent rien avec le streaming. Mais vraiment rien! On peut vivre sur des ventes de disques, on ne le peut pas avec les revenus reversés par les plateformes de streaming. On en vient à demander la charité, c’est ça le crowdfunding.

Si tu devais te définir, quelle serait ta phrase ou ta devise ?

Kent. Houla! Je n’aime guère définir, personne ne se réduit à quelques mots. Ma devise, c’est « chacun pour tous et Dieu pour soi. » Je pense que le monde s’en porterait bien mieux.

Aujourd'hui, quels sont tes groupes préférés ? Sont-ils les mêmes qu'avant ? Quel genre de musique préfères-tu écouter ? Y a-t-il une chanson ou un album qui restera pour toujours ?

Kent. Aujourd’hui, en mai 2021, j’écoute beaucoup Mustang, Katel, Jay Jay Johanson, Alice Animal et Maria Schneider Orchestra. Voilà pour la musique actuelle. Sinon j’écoute aussi Weinberg et les trios et sonates de Ravel. Je n’ai pas de genres de musique préférés. Dans la même journée, je peux écouter le dernier Damned et Julie London en passant par les expérimentations sonores de Armando Sciascia. Je suis cyclothymique, ça doit avoir un rapport.

Qu’est-ce que tu fais lorsque tu ne travailles pas? Quels sont tes passions et tes passe-temps?

Kent. Je lis, j’écoute de la musique que je ne connais pas, je glande, je me balade dans les rues, je pars en randonnée, j’apprends à reconnaître le chant des oiseaux. Je m’éduque. J’aime apprendre.
 
Pour finir, si tu devais te rendre sur une île déserte et ne garder que 3 choses : un disque, un film et un troisième choix, quelle serait ta sélection et pourquoi?

Kent. C’est drôle, cette question. Pour combien de temps? De plus je n’arrive pas à imaginer une île déserte avec l’électricité! Quoi qu’il en soit, je crois que le disque ou le film que j'emporterais finirait par me sortir par les yeux à la longue. Un livre à la rigueur… « L’intranquillité » de Fernando Pessoa. Il y a matière à réflexion pour toute une vie. Et puis je finirais par me fabriquer un instrument à cordes pour faire de la musique. C'est encore ce qu’il y a de mieux.

Merci pour cette interview et de ta gentillesse Kent.


19 mai 2021.
Thierry Cattier

Photos promo : DR